dimanche 26 avril 2015

Père Onésime Lacouture - 1-33 - La mortification


TRENTE-ET-UNIÈME INSTRUCTION LA MORTIFICATION.

«Je châtie mon corps et le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé.» 1 Cor.  9-27.

Plan Notion.  (expier nos péchés Sa nécessité… (nous renoncer (nous sanctifier (l’imagination (la mémoire

Mortification intérieure… (l’intelligences (la volonté (les sens

Mortification extérieure… (la langue (la sensualité

NOTION Voici la deuxième subdivision de la Folie de Croix; la première: l’aumône, retranche l’affection aux biens extérieurs; celle-ci, la mortification retranche l’affection aux biens du corps et de l’âme dans ses facultés.  Ce sont toutes ces affections aux choses créées qui empêchent notre parfaite transformation en J-C., nécessaire pour participer à sa vie au ciel.  Tout chrétien doit coopérer avec la grâce pour se dépouiller de ces affections; il faut donc qu’il les connaisse avec la manière de s’en défaire.  Voilà pourquoi il est bon de diviser le travail comme nous faisons ici, afin de le mieux comprendre pour le mieux accomplir.  Notre seule manière pratiquement de déraciner nos tendances naturelles, c’est de leur soustraire leur objet en autant que nous le pouvons avec la grâce de Dieu.  Voilà la raison de ces dernières méditations sur la folie de la croix au point de vue pratique.  La mortification consiste à volontairement se priver d’une satisfaction qu’on pourrait prendre légitimement ou à s’imposer une douleur physique pour expier ses péchés ou obtenir une autre grâce.  Dans ce domaine il faut pratiquer ses mortifications sans s’occuper des autres; d’abord parce que très peu se mortifient aux yeux des autres.  Dieu dispose toutes choses pour qu’apparemment au moins, nous soyons les seuls à nous mortifier. 

C’est qu’il ne veut pas qu’on le fasse pour faire comme les autres; il ne veut pas de ce motif naturel.

Il faut se garder de juger les autres; car Dieu donne la grâce à l’un de se mortifier sur un point et à un autre de le faire sur d’autres points.  Certains disent qu’ils évitent de se mortifier devant les autres par peur de la gloriole.  Ce n’est pas un bon principe parce qu’ils n’ont qu’à le faire uniquement pour Dieu dans leur motif tout à fait surnaturel et ensuite peu importe qu’on les en estime.  Il faut édifier le prochain dans ces bonnes actions comme dans les autres.  Parce que c’est délicat de garder le juste milieu entre l’édification du prochain et la gloriole, ce n’est pas une raison d’omettre la mortification.  Qu’on soit assez humble pour pouvoir édifier le prochain et tout de même se mortifier.  Le scandale de n’être jamais vu à se mortifier est plus à craindre que la gloriole en le faisant; les deux sont à éviter par une intention bien surnaturelle et une mortification visible quand l’occasion se présente, comme de jeûner dans un hôtel un jour de jeûne, etc… sa nécessité… Expier nos péchés est le premier motif dans l’ordre pratique pour ainsi dire de se mortifier.  Parce que nous sommes pécheurs dès notre naissance à cause du péché originel et ensuite par nos propres péchés personnels, il nous faut payer cette dette à la justice divine avant de prétendre aux grâces d’union même ordinaire avec Dieu.  Même ceux qui passent pour de bons chrétiens parce qu’ils reçoivent assez souvent les sacrements doivent craindre pour la rémission de leurs péchés au moins quant à la peine qui reste après le pardon obtenu.  Nos gens formés par nos philosophes à une religion toute de tête peuvent s’attendre à avoir une grosse dette à payer à Dieu à cause de leur façon superficielle de recevoir les sacrements.  En plus il y a toutes les mauvaises tendances naturelles à refréner dans tout homme quelque bon qu’il soit.  Comme pour éteindre le feu il suffit de lui soustraire la matière qui l’alimente, ainsi il faut soustraire aux inclinations naturelles les plaisirs qui les alimentent, autrement elles nous entraînent au péché.  Tous les saints parce qu’ils voulaient être unis à Dieu sentaient un terrible obstacle dans la vie animale si portée à tous les excès.  Comme St-Paul, ils souhaitaient tous d’être délivrés de ce corps de mort.  Ils aidaient la grâce en retranchant au corps tous les plaisirs qu’ils pouvaient sacrifier avec la grâce de Dieu.  Nous savons les souffrances atroces de N.S.  pour expier nos péchés.  Eh bien!  nous devons savoir aussi qu’il nous reste à participer à son calice pour participer à sa joie au ciel.  Nous régnerons avec lui au ciel pourvu que nous souffrions avec lui sur terre.  Il nous faut souffrir dans notre corps ce qui manque aux souffrances de Jésus, non pas dans leur valeur infinie au point de vue mérite, mais d’extension.  C’est-à-dire, il faut que les membres de Jésus participent à sa passion pour participer à sa gloire.  En d’autres termes, les souffrances de Jésus ne nous dispensent pas de payer notre propre dette pour nos péchés, mais elles donnent du mérite devant Dieu à nos souffrances offertes pour nos péchés et en union avec le sacrifice de Jésus-Christ.  C’est une erreur bien commune de croire que le sacrifice de Jésus nous dispense de souffrir pour nos propres péchés.  Que de prédicateurs disent que Jésus a expié nos péchés sur la croix.  Il y a du vrai dans le sens qu’il a satisfait à la justice divine par ses mérites personnels infinis et qu’à cause de ses mérites, notre expiation pour nos propres péchés est agréée par Dieu pour l’amour de J-C.  Mais ce n’est pas vrai dans le sens des protestants: qu’il ne nous reste rien à payer pour nos péchés.

Il n’y a pas de doute que le sacrement de pénitence par l’absolution efface non seulement la coulpe, mais aussi la peine due aux péchés.  Mais qui sait exactement combien?  Cela dépend en grande partie des dispositions subjectives du pénitent qui laissent beaucoup à désirer avec la religion des philosophes si générale de nos jours.  Par conséquent chacun fait mieux de prendre sur lui de payer sa peine par des mortifications volontaires; autrement il peut s’attendre à rester fort longtemps dans le purgatoire.  En général nos prêtres philosophes plus que jamais parlent de la nécessité de se mortifier uniquement à cause des péchés et des mauvaises inclinations laissées par les péchés.  Jamais ils n’en demandent dans les choses permises ou très rarement, parfois peut-être aux religieux qui sont supposés faire profession de perfection, de la rechercher.  En tout cas on voit bien que c’est la doctrine donnée au monde parce que c’est la seule que les fidèles ont en général.  Ils n’ont aucunement l’idée de se mortifier dans les choses permises, et ils ne sont jamais dérangés par les prêtres dans cette idée; elle est donc générale dans le clergé.  Voici leur doctrine bien exposée par le P.  Ferd.  Cavallera, S.J., dans son introduction du livre du P.  Surin: Les fondements de la vie spirituelle.

«Réalité que nous trouvons ici en présence de deux spiritualités d’accord pour l’essentiel, mais divergentes sur la valeur de certaines méthodes et d’attitude à observer dans la recherche de la perfection.  Surin est de l’école du renoncement absolu, même en dehors du cas du péché et de la lutte nécessaire contre les passions et mauvaises inclinations.  On ne saurait selon lui acheter par trop de sacrifices l’intime amitié de Dieu et ses faveurs extraordinaires.  Les autres se refusent à partager ce qui peut paraître une déficience excessive envers l’oeuvre du Créateur et accordent plus de crédit aux données de la raison contrôlée par la foi.  Ils estiment par conséquent que la question du péché mise à part, l’homme peut trouver Dieu dans l’utilisation rationnelle des biens créés mis par lui à notre disposition et que le bon usage des créatures a sa place dans la vie spirituelle à côté des sacrifices quotidiennement imposés par la loi du devoir.

L’essentiel est d’aimer Dieu par-dessus toutes choses et de profiter de tout, selon l’enseignement de St Paul, en vue de la gloire de Dieu.  De même, ils ne nient pas en principe la réalité des faveurs surnaturelles, mais ils estiment que l’illusion y est facile et fréquente, et que plutôt que sur ces lumières exceptionnelles, il faut compter avant tout, pour la conduite des âmes et sa conduite personnelle, sur les données conjuguées de la raison naturelle et de la foi; ce sont là bienfaits divins contre lesquels il n’y a pas de motif de s’insurger et de manifester de la défiance incurable des mystiques.» Quel archi-philosophe!  Il cite St Paul qui veut que nous fassions tout pour la gloire de Dieu.  Mais ce n’est pas vrai que ce texte permet aux chrétiens de jouir de tout ce qui n’est pas défendu, comme le P.  l’insinue.  Pourquoi ne cite-t-il pas cet autre texte de St Paul qui fait faire la grimace à tous les philosophes: «Pour gagner J-C.  je me suis privé de toutes choses, les regardant comme du fumier afin de gagner J-C.»  Est-ce que St Paul regarde comme du fumier seulement le péché et les mauvaises inclinations?  Comme J-C.  il s’est privé des choses permises le plus possible.  Ceux-là n’ont pas suivi leur raison naturelle même conjuguée avec la foi, ils ont suivi leur amour pour dieu et cet amour pour Dieu demande qu’on regarde toutes les créatures comme du fumier pour gagner J-C.  C’est là qu’est Surin, en bonne compagnie.  Jésus dit qu’on ne peut pas aimer Dieu et le monde, qu’on aimera l’un et haïra l’autre.  Quand on hait, on en prend le moins possible; c’est du fumier!  Cavallera avec sa clique de philosophes païens préfèrent donner plus d’importance à la création et estimer les créatures.  D’après Jésus il faut mettre sa défiance dans la création ou le Créateur: aimer l’un et haïr l’autre!  Les philosophes veulent aimer les deux.  On voit là le résultat de leur théologie «in se».  Là les deux sont aimables mais ce n’est pas vrai «in nobis», en nous.  Alors les créatures, les permises comme les autres, fendues, deviennent du fumier pour celui qui aime Dieu.  Sa dernière phrase est tout simplement abominable d’orgueil.  Tous les mystiques ont une défiance incurable de la raison humaine!  Or tous les saints sont des mystiques… Allons-nous nous mettre du côté des Saints ou du côté de Cavallera et de sa clique de philosophes qui suivent le bon sens contrôlé par la foi…?  à leur manière… C’est la raison qui domine la plupart du temps, comme l’état de la religion qu’ils donnent au monde le montre bien…

Se renoncer est le deuxième motif de pratiquer la mortification.  Ici nous avons tous les philosophes contre nous, comme on a pu le voir par la citation du P.  Cavallera, philosophe d’un travers à l’autre… Tout ce que nous avons dit dans le premier motif serait vrai si nous étions sur le chemin des limbes.  Il suffirait de s’être débarrassé de la corruption du péché pour être un homme pur et digne d’aller au bonheur des hommes aux limbes.  Mais c’est autre chose avec notre destinée surnaturelle à la vision béatifique.  Non seulement il faut enlever la corruption du péché, mais il faut aussi diviniser tout l’homme et non seulement dans son être par la grâce sanctifiante, mais aussi dans son activité par la surnaturalisation de toute son activité libre.  Imaginons l’homme aussi pur qu’il puisse être, il ne mérite pas du tout encore la participation à la vie divine de la Trinité.  Il faut que tout son être soit divinisé, ce qui se fait par la grâce sanctifiante.  «En soi», cela suffit pour être sauvé, aller au ciel.  Les philosophes ne prêchent que cela; ils disent sur tous les tons que du moment qu’un homme est en état de grâce, il est sauvé.  Nous admettons que cela est vrai.  Mais nous ajoutons que pour mourir en état de grâce, il faut lutter constamment par la mortification contre toute l’orientation naturelle de notre activité libre, qui reste naturelle même quand nous sommes en état de grâce, à moins que nous luttions contre cette orientation par des motifs surnaturels d’une façon ou d’une autre, mais surnaturels.

J-C.  fait dépendre le mérite de nos bonnes œuvres (Mt.  6) de nos motifs et il suppose même que nous sommes en état de grâce.  La grâce sanctifiante est la condition du mérite, mais elle ne le règle pas; ce sont les motifs tels que Jésus l’enseigne là.  Toutes les exhortations de J-C., des Apôtres et des Saints à tout faire pour Dieu montrent bien que la grâce sanctifiante ne suffit pas pour cette orientation surnaturelle, d’où dépend le mérite de nos actions.  Les philosophes n’exigent pas cette orientation libre des motifs pour leur mérite; qu’ils gardent leur idée; ils n’ont pas le droit de nous condamner parce que de solides théologiens sont pour nous et tous les Saints et les «pauvres» mystiques, qui n’aiment pas la raison humaine!  Le bon Dieu a demandé la mortification aux anges avant leur péché comme à nos premiers parents.  C’est donc évident qu’il va nous la demander indépendamment du péché.  Les philosophes supposent qu’avec la grâce sanctifiante tout un homme est divinisé.  C’est vrai physiquement dans ce qui a l’être, mais ce n’est pas vrai dans l’orientation de notre activité que tout chrétien garde et peut garder toute sa vie, bien naturelle, s’il le veut.  Tout en étant en état de grâce, je puis manger une pomme pour un motif naturel.  Je suis porté à tout faire exactement comme un vrai païen dans la partie libre de mon activité à moins que je lutte contre ce paganisme qui reste dans l’esprit même avec la grâce sanctifiante.

Voilà ce renoncement à soi-même que Jésus veut de tout chrétien baptisé.  Que de mortification il faut pour mourir à soi pour arriver à dire comme St Paul: Ce n’est plus moi qui vis, c’est J-C.  qui vit en moi.  Ce n’est pas vrai que cela se fait par le fait de concevoir la grâce sanctifiante.  Tous les Saints ont constamment combattu contre leur amour naturel pour les bonnes choses créées autant que pour les défendues.  Les philosophes ne font pas cette lutte ni ne l’enseignent aux autres!  J-C.  s’est-il privé seulement des biens défendus?  Les Apôtres n’ont-ils pas sacrifié leurs biens permis comme les autres?  Les Saints n’ont-ils pas suivi ces exemples?  Que les philosophes fassent valoir surtout l’œuvre du Créateur en s’amusant avec les bonnes créatures; j’aime mieux faire valoir le Créateur comme je le ferai au ciel sans les créatures terrestres.

Nous sanctifier est le troisième motif de pratiquer la mortification.  Tout être doit orienter son activité vers sa fin dernière.  Or le chrétien est destiné à participer à la vie divine de Dieu au sein de la Trinité.  Or Dieu exige que l’homme commence tout de suite dans la foi sa vie au ciel.  Or au ciel il ne cherchera sûrement pas son bonheur dans les créatures terrestres, quelque bonnes qu’elles soient; il mettra tout son bonheur en Dieu.  Or pour jouir divinement, il faut agir divinement.  Alors dès qu’un chrétien entrevoit tant soit peu le bonheur ineffable que Dieu réserve à ses amis au ciel, il s’efforce d’en mériter le plus possible en agissant divinement le plus possible.  Or un acte est d’autant plus divin qu’il procède de la grâce sanctifiante et des motifs surnaturels plus parfaits.  Or pour agir pour des motifs surnaturels, il faut les perfectionner par une intention plus fervente, plus actuelle et plus divine.  Pour faire cela il faut lutter contre les tendances naturelles même bonnes en soi; il faut rejeter tous les motifs naturels pour être sûr que ces motifs sont bien surnaturels.  Tout cela est de la mortification!  Les philosophes ne l’exigent pas; leur Dieu se contente facilement!  Du moment qu’il n’y a pas de péché, il est satisfait de ses philosophes; le reste, c’est du luxe qu’ils ne tiennent pas du tout à lui donner.  Imaginez l’inconvénient d’en trop donner à Dieu!  C’est la raison qui mène chez eux… conjuguée avec… un peu de foi!  Cela leur suffit!  Ils ne veulent pas être dans le camp des mystiques… des exagérés!  Quant à moi, je veux l’attitude des mystiques jusqu’à leur défiance incurable de la raison humaine.

La position à prendre n’est pas celle d’un «gentleman philosophe», qui veut rester correct avec Dieu, ce qu’il fait quand il suit la raison, mais éclairée par la foi.  Car elle permet même avec la foi de jouir de tous les plaisirs permis… et la raison l’approuve naturellement.  C’est une toute autre attitude mentale quand on en fait une question d’amour, comme on doit le faire.  Est-ce que je vais donner mon affection ou mon cœur aux créatures ou au Créateur?  Le premier commandement règle cette question bien vite, il prend tout notre amour pour Dieu.  Or on sait que l’amour est une fin que l’on veut toujours le plus possible.  Si donc j’aime Dieu de tout mon cœur selon le premier commandement, il ne me reste plus aucun amour pour les créatures même bonnes en soi.  Donc je les rejette le plus possible comme du fumier, à l’exemple de St Paul, afin de gagner le plus possible J-C.  Ma sainteté est le degré de divin que j’ai en moi.  Or ce divin s’achète aux dépens des créatures bonnes comme défendues.

On comprend pourquoi cette méfiance des mystiques pour la raison humaine, naturelle, même unie à la foi.  Comme ils vivent d’amour, ils suivent leur cœur ou leur amour, tandis que les philosophes suivent toujours leur esprit ou leur science, qui mesure ce qu’elle donne, qui craint les exagérations de l’amour.  Les philosophes ont justement la mentalité que nous aurions pu avoir sur le chemin des limbes, tandis que les mystiques ont la seule attitude qui convient à Dieu, qui est amour!  C’est un caractère de l’amour de se donner sans mesure.  Heureux ceux qui vivent d’amour de Dieu; tout le reste leur devient du fumier, ils en prennent le moins possible, tout en suivant la raison conjuguée avec la foi!  Car si la foi me dit que toutes les créatures sont du fumier, mon bon sens me dit tout de suite d’en prendre le moins possible!  Les mystiques ne sont pas si bêtes après, tout, n’est-ce pas, M.  Philosophe Cavallera!…

Donc plus je veux devenir saint et plus je dois me priver des plaisirs de toutes sortes même permis et même modérés et même légitimes!  Jésus, les Apôtres et les Saints ont rejeté même les plaisirs permis; nous sommes donc en bonne compagnie!… Comme cette poursuite de la sainteté ne se trouve pas dans leur sainteté «essentielle», que les philosophes mettent uniquement dans la grâce sanctifiante, ils ne s’en soucient pas du tout.  C’est là qu’ils font erreur.  Pour eux ils mettent la fin dans ce qui n’est que le commencement de la vie spirituelle.  C’est aussi insensé que si des parents pensaient avoir fini leur devoir quand ils ont mis un enfant au monde en lui donnant la nature humaine.  Bien loin d’être la fin, ce n’est que le commencement de leurs devoirs pour conduire leurs enfants à la taille d’hommes parfaits physiquement et moralement et intellectuellement.  Ils ne s’occuperont plus du fait que leurs enfants ont la nature humaine, mais ils vont la développer constamment de toutes façons possibles.  Eh bien!  quand les prêtres donnent la grâce sanctifiante aux hommes ils doivent les développer comme enfants de Dieu de toutes les façons possibles.  Or on sait que pour augmenter le divin, il faut diminuer l’humain; il faut que le vieil homme dépérisse pour que le nouvel homme grandisse dans le surnaturel.  Donc encore un point important où les philosophes sont de travers avec les Saints.

sa division Nous divisons la mortification ici en deux: l’intérieure et l’extérieure, simplement pour mieux les comprendre, car dans le concret, elles doivent toujours aller ensemble.  C’est une mauvaise tactique que de pousser une contre l’autre.  Le démon seul y gagne!  Que de prédicateurs vantent l’importance de la pénitence intérieure comme toute différente de l’autre.  Les gens en concluent que la mortification extérieure est bien secondaire et ils n’en font pas.  J-C.  n’a jamais séparé ces deux choses.  C’est son crucifiement extérieur qui a fait son agonie intérieure.  L’Église nous transmet le Christ attaché à la croix.  C’est tout l’homme qui a péché, c’est donc tout l’homme qui doit expier.  Ce n’est pas le corps seul qui a péché, ni l’âme seule; ce sont les deux ensemble et ce sont les deux qui doivent expier.  Nous les divisons donc uniquement pour mieux les connaître, mais dans le concret toutes deux vont ensemble.

Mortification intérieure

L’imagination tient comme le milieu entre le monde matériel et le monde intellectuel; c’est elle qui peut amplifier, embellir, grandir les sensations et les choses représentées dans les sensations.  On voit qu’elle peut être un fameux instrument dans les mains des démons pour nous garder nos attaches aux choses créées et en augmenter notre amour.  On sait comme elle peut exciter les passions par ses représentations souvent exagérées des plaisirs qu’elle invente pour les sens.  Le mieux alors est de détourner l’imagination de ces plaisirs.  Ce sont les passions affamées qui agissent sur l’imagination pour lui faire représenter leur genre de plaisirs qu’elles veulent.  C’est quand on jeûne, par exemple, qu’on se représente toutes sortes de bons mets délicieux qu’on mangerait avec le plus grand plaisir.  Mais quand on a bien mangé, l’imagination ne nous prépare pas de banquet, comme lorsqu’on a faim.
De même c’est quand on veut rester chaste que l’imagination représente ces sortes de satisfactions.  Le bon Dieu le permet pour nous donner une chance de le préférer à ces plaisirs et le démon essaie de nous attirer à y consentir pour nous perdre.  Pour réussir à restreindre l’imagination dans les grandes tentations il faut prendre l’habitude de le faire dans les petites.  Prendre l’habitude de préférer Dieu à n’importe quel échantillon présenté; c’est le moyen de mériter et d’apprendre à contrôler l’imagination.  La mémoire garde le souvenir de tout ce qui passe dans les sens et les facultés de l’homme.  Quand les créatures sont disparues autour de nous, la mémoire en garde le souvenir comme si elles étaient présentes.  On comprend que nous devons sacrifier ces souvenirs comme les créatures elles-mêmes et souvent avec autant de mérite.  Par exemple, un matin dans un hôtel je jeûne à côté d’un protestant qui mange un bon steak; j’ai du mérite à m’en priver un jour de jeûne.  Une heure après mon travail, la faim me remet ce bon steak devant l’esprit; j’ai encore sûrement du mérite à repousser ce souvenir comme j’ai repoussé cette bonne viande au déjeuner.  Alors répétons dans la mémoire ce que nous devons faire avec le plaisir réel en lui-même.  Mortifions donc le souvenir des plaisirs que la mémoire nous remet devant l’esprit.

L’intelligence doit être mortifiée pour accepter dans tous les détails de la vie les manières de faire du monde surnaturel de la foi si contraires à notre raison naturelle très souvent.  Dès que l’on sait que la foi enseigne telle chose, qu’on l’accepte tout de suite et qu’on fasse taire n’importe quelle protestation de notre esprit humain si borné dans les choses de Dieu.

Une autre source de mortification se trouve dans les jugements si différents des personnes avec lesquelles il faut vivre.  Dieu nous a tous fait des antipodes les uns des autres et son commandement d’amour nous oblige à faire plaisir aux autres comme à nous-mêmes.  Eh bien!  quelle source de mortification du jugement que de sacrifier le nôtre à celui des autres, quand il n’y a pas de sérieux inconvénients à leur laisser leur jugement.  Tous les inférieurs ont une belle chance de mortifier leur jugement dans l’obéissance.

La volonté.  C’est le même raisonnement que pour la mortification de l’intelligence, que la volonté suit ordinairement.  Laissons aux autres le droit de faire leur volonté quand nous sommes les seuls concernés.  Par exemple, on trouve qu’il fait trop chaud et l’on ouvre la fenêtre; un autre gèle!  Eh bien!  qu’il mette son paletot et laisse la fenêtre ouverte pour l’amour de celui qui a chaud, ou vice versa.  Que d’occasions de mortifier sa volonté dans les familles et les communautés!

Mortification extérieure

Les sens nous découvrent les plaisirs que nous pouvons trouver dans les choses créées et naturellement l’homme veut ces satisfactions pour sa nature.  Or la foi nous enseigne à retirer notre amour des choses créées pour le donner tout à Dieu.  Pour lutter contre cet amour naturel, le meilleur moyen est de lui soustraire la matière qui l’alimente: les sensations.  Il faut détourner les sens de leur objet propre pour diminuer cet amour que nous avons pour les créatures.  Plus les sens sont parfaits et plus ils alimentent cet amour naturel; ce sont donc ceux-là surtout que nous devons mortifier.  Par exemple, la vue est une source abondante de péchés.  David tomba dans l’adultère et les deux vieillards qui observaient Suzanne voulurent commettre ce péché avec elle.  Parce qu’elle refusa ils la dénoncèrent et demandèrent sa mort et finalement Dieu la délivra de leurs mains et ils furent punis de mort.  Quelle rage de nos jours, plus que jamais, avec les inventions modernes pour satisfaire les sens!  On veut tout voir, tout entendre et jouir de tout dans les cinémas, les amusements de toutes sortes, les théâtres, la radio, etc… Jusqu’aux prêtres et aux religieux qui les courent comme de vrais païens!

Le goût mérite une mention spéciale, car il conduit vite à la gourmandise qui est une source abondante de péchés.

  Tout chrétien devrait faire une lutte à mort à l’ivrognerie qui cause tant de ravages dans le monde.  Le seul moyen efficace en général est de s’abstenir complètement de toute liqueur enivrante.  Ce n’est pas facile de tenir la modération là, parce que ces liqueurs causent une véritable passion qui entraîne les hommes aux excès.  Les prêtres et les religieux surtout devraient donner l’exemple d’une abstention totale quand même ils seraient capables de se contrôler.  Pour sauver le peuple et lui mériter des grâces spéciales il faut que quelqu’un fasse pénitence pour lui et qui mieux que les prêtres et les religieux peuvent le faire et doivent le faire?

La mortification du goût par le jeûne est une pénitence extrêmement précieuse devant Dieu.  De nos jours, même les prêtres ne parlent plus que de la prière, eh bien! elle ne vaut pas grand’chose sans la mortification.  L’Écriture joint d’ordinaire le jeûne ou l’aumône à la prière pour la rendre efficace.  Il faut les deux, dit Jésus, pour chasser le démon d’impureté.  Or l’impureté est très répandue précisément parce que les prêtres ne prêchent plus le jeûne; c’est à qui en ferait le moins.  Aussi l’impureté se répand de plus en plus.  Qu’on revienne au jeûne et surtout chez les jeunes si portés à l’impureté!

Au pied du Sinaï les Juifs se mirent à fêter en mangeant et en buvant, puis ils dansèrent et enfin tombèrent dans le péché d’idolâtrie.  La gourmandise conduit à tous les péchés!  Tandis que le jeûne mène à toutes les vertus!…

Moïse jeûna 40 jours et 40 nuits et Dieu lui parla familièrement et lui donna la loi des 10 commandements.  La gourmandise éloigne donc de Dieu et le jeûne nous rapproche de lui.  Élie jeûna 40 jours et Dieu lui fit de magnifiques révélations sur le Messie et il mérita de passer à un meilleur monde sans mourir.  J-C.  jeûna 40 jours aussi et sur le Thabor ceux qui avaient jeûné également 40 jours, Moïse et Élie, leur apparurent, l’un représentant la Loi, l’autre les prophètes: trois grandes institutions divines inaugurées par un jeûne de 40 jours.  Quand les Apôtres et les premiers chrétiens voulaient obtenir une grâce de Dieu, ils jeûnaient et ils l’obtenaient.  De nos jours quand les Évêques et les prêtres se réunissent pour délibérer sur quelque question religieuse, c’est entre des banquets qu’on décide!  Aussi, jamais rien de bon ne sort de là. 

On rédige quelques résolutions et tout finit là!  St Grégoire dit que St Pierre jeûnait continuellement, que St Mathieu ne mangeait que des herbes, comme aussi St Jacques.  St Ignace, M.  dit que les fidèles d’Alexandrie jeûnaient les mercredis et les vendredis en plus du Carême et des Quatre-Temps.  St Jérôme écrit à Népotien: «À quoi sert s’abstenir d’huile et ensuite aller à la recherche de mille aliments, tels que des figues sèches, des noix, du poivre, des dattes, du miel et de la meilleure farine de froment et des amandes?» Inutile de citer des textes sans nombre qui montrent l’efficacité du jeûne pour désarmer la colère de Dieu: l’Écriture en est remplie: Judith, Esther, Jonas à Ninive, etc… Continuons le texte de St Jérôme: «On empile toutes les ressources de l’horticulture parce qu’on ne veut pas se contenter de la nourriture ordinaire; mais en courant après les délices, on s’éloigne du royaume des cieux. 

J’apprends en outre qu’il y en a quelques-uns, qui, contrairement à l’usage établi ne boivent point d’eau, ne mangent pas de pain, mais se nourrissent de légumes hachés et de boissons délicates.  Le jeûne le plus rigoureux est celui qu’on observe en se contentant de pain et d’eau… Exemple: À Joliette en la paroisse du Christ-Roi, le Curé, P.  Laurenzo Gauthier, qui avait fait la retraite, demande une neuvaine d’actions de grâces pour ce que Dieu voulait en permettant deux maisons louches dans la paroisse et le dernier jour il demanda un jeûne au pain et à l’eau, et assurant bien les fidèles que les Pères feraient ce jeûne aussi.  Le lendemain, comme ils sortaient de la messe, une des maisons flambait.  L’autre famille qui savait qu’on avait fait ces jeûnes contre eux aussi, alla s’installer ailleurs.  Un jour, je rencontre ce curé mécontent contre le Père Gauthier qu’il tenait responsable.  Je lui dis: M.  le Curé, est-ce que vous n’avez pas du pain et de l’eau chez vous?  Jeûnez!

Je racontais ce fait en retraite sacerdotale.  M.  Trépanier, vicaire à St Grégoire de Montmorency, demanda à son Curé de faire un triduum de prières avec un jeûne à la fin au pain et à l’eau, pour se débarrasser de deux maisons semblables à celles de Joliette.  Après le triduum, un des propriétaires tomba mort sur son perron et l’autre famille eut peur et s’en alla ailleurs où le Curé me dit qu’ils se conduisaient très bien!…

Au lac Édouard une épidémie de chenilles s’abat sur la région.  M.  Dumont, l’aumônier, qui avait suivi nos retraites, demande aux tuberculeux du Sana de jeûner en paroles, puisqu’ils ne pourraient pas le faire au pain et à l’eau.  Il leur demanda de ne pas manger de bonbon ce jour-là et de garder le silence et de prier le plus possible.  Le lendemain toutes les chenilles s’en allaient directement au lac où elles se noyaient et les autres moururent.  Un religieux prêtre est chassé de sa communauté; il lui faut une lettre de recommandation de son supérieur pour être accepté par un Évêque.  Son Supérieur refuse deux fois.  Entre temps ce religieux fait la retraite et apprend ce moyen efficace pour obtenir des faveurs de Dieu.  Il commence son jeûne le matin, mais à midi le supérieur où il se trouve lui défend de continuer.  Quand même, quelques jours après, il reçoit dans la même enveloppe deux lettres de son Supérieur: l’une disant qu’il n’aura jamais de lui une lettre de recommandation et l’autre était une vraie bonne recommandation!  J’ai vu les deux lettres!  Quel dommage que les prêtres ne recourent plus à ces moyens si apostoliques et si efficaces pour toucher le coeur de Dieu!  On voit que les Apôtres jeûnaient et priaient, puis le St Esprit les éclairait!  Quelle pitié de voir tant de réunions de prêtres et de religieux pour promouvoir les intérêts de la religion, comme les cercles d’étude catholiques, de congrès de catéchisme, etc.  Et l’on délibère sur les choses de Dieu à travers des nuages de fumée et en buvant de la liqueur et en mangeant toutes sortes de choses délicates!  Quelle farce!  Quelle ignorance des voies de Dieu!  Est-ce surprenant que rien ne sort de ces assemblées à la païenne!…?  Au lieu de discuter combien peu on peut se priver tout en jeûnant «strictement parlant», pourquoi les prêtres ne prêchent-ils pas le vrai jeûne des temps apostoliques?… Le moins possible et surtout au pain et à l’eau!  Au lieu de se tâter le pouls, qu’on tâte la dette épouvantable que chacun doit à la justice divine pour ses nombreux péchés jamais encore expiés, même s’ils sont pardonnés.  Les flammes du purgatoire ou de l’enfer ne sont pas bonnes pour la santé!… et les petits inconvénients du jeûne les éteindraient pour vous… La mentalité n’est pas du tout au jeûne.  Même en communauté combien pourraient jeûner qui ne le font pas?  Quelle sorte de perfection cherchent-ils ces prêtres et ces religieux qui ont exclu le jeûne de cette recherche?  Il y a quelque chose de foncièrement croche quelque part quand on exclut le jeûne de sa vie.

La langue mérite une attention spéciale à cause de son efficacité merveilleuse pour le mal comme pour le bien.  Elle distribue à droite et à gauche l’éloge et le blâme, la peine ou la joie, la paix ou la guerre.  Il faut citer St Jacques, 3: «Si quelqu’un ne pèche pas en paroles, c’est un homme parfait capable de tenir ainsi tout le corps en bride.  Voyez encore les vaisseaux, tout grands qu’ils sont et quoique poussés par des vents impétueux, ils sont conduits par un petit gouvernail au gré du pilote qui les dirige.  Ainsi la langue est un tout petit membre, mais de quelles grandes choses elle peut se vanter!  Voyez une étincelle peut embraser une forêt.  La langue aussi est un feu, un monde d’iniquité.  N’étant qu’un de nos membres, la langue est capable d’infecter tout le corps; elle enflamme le cours de notre vie, enflammée qu’elle est elle même du feu de l’enfer… Les animaux sont domptés, mais la langue, aucun homme ne peut la dompter; c’est un fléau qu’on ne peut arrêter; elle est remplie d’un venin mortel.

Chaque coup de langue fait trois blessures: à la personne contre qui on parle, à celle qui écoute avec complaisance le mal qu’on dit et enfin à celle qui le dit.  St Clément dit que St Pierre enseignait qu’on peut commettre trois sortes de meurtres et que les trois ont la même peine: tuer le prochain, le haïr et ruiner sa réputation.  St Paul dit, Rom.  1-30, que les détracteurs sont odieux aux yeux de Dieu.  Marie, la sœur de Moïse, est couverte de lèpre pendant une semaine parce qu’elle a murmuré contre son frère, et des milliers de Juifs qui avaient murmuré contre Moïse sont tués par les serpents.  Ps.  34-13 dit: Quel est l’homme qui aime la vie, qui désire de longs jours pour jouir du bonheur?  Préserve ta langue du mal et tes lèvres de paroles trompeuses.  Prov.  21-24: «Celui qui garde sa langue et sa bouche préserve son âme des angoisses» Plût à Dieu que les prêtres et les religieux fussent des modèles dans la garde de la langue!  Comme on fait circuler vite n’importe quelle calomnie ou médisance contre les confrères!  Combien parlent les uns contre les autres, même devant les laïques à leur grand scandale!  … cessons!…


La sensualité se compose des trois concupiscences: celle des yeux, de la chair et l’orgueil de la vie… dont la résultante est l’impureté.  C’est inutile pour les confesseurs de disputer les impudiques s’ils ne leur indiquent pas les remèdes.  D’après le sermon sur la montagne Jésus enseigne que la maison qui est bâtie sur le sable tombe.  Eh bien!  le sable est la mentalité païenne des motifs naturels en toutes choses.  Celui qui s’accuse d’impureté montre qu’il vit de motifs naturels depuis des années.  Le seul remède efficace est d’enlever les motifs naturels dans sa vie.  Qu’on lui conseille de cesser de fumer ou de boire de la liqueur ou d’aller aux amusements de toutes sortes où il a mis son cœur et qui lui fournissent des motifs naturels.  Il ne faut pas manquer de les pousser à quelques jeûnes à différents repas pour que ça ne paraisse pas aux yeux des autres.  Il faut sauter un repas, par-ci par-là, ou ne prendre qu’un demi-repas, etc.  Qu’il aille de moins en moins aux vues, etc… Ce n’est que par la mortification des appétits, des bons comme des mauvais qu’on aura la grâce de résister aux tentations si fortes et si dangereuses de l’impureté à tout âge et dans tous les rangs de la société.  Quand on sacrifie un plaisir permis, on gagne une grâce pour en faire un autre et ainsi de suite.  Voilà ce qui donnera la force de résister aux grandes tentations impures.  Luttons de toutes nos forces contre toutes ces concupiscences et nos attraits pour les plaisirs même permis.  En proportion qu’on vide son cœur de l’amour des créatures, Dieu prend la place, il le purifie et le remplit de divin. 

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