jeudi 29 août 2013

Du nombre des élus

Sermon pour le mardi après le quatrième dimanche de Carême « Du nombre des élus », extrait du livre Sermons du bienheureux Léonard de Port Maurice (traduit de l'italien par Ch. Sainte Foy), pp. 134 à 161.
 
« Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus ».
 
 
I. Ce qui remplit d’effroi les plus grands saints.


Grâce à Dieu, le nombre des disciples du Rédempteur n’est pas si petit que la malignité des scribes et des pharisiens doive en triompher. Quoiqu’ils s’efforçassent de calomnier l’innocence et de tromper la foule par leurs sophismes perfides, en discréditant la doctrine et le caractère de Notre-Seigneur, trouvant des taches jusque dans le soleil, beaucoup reconnurent en Lui le vrai Messie, et, sans craindre ni les châtiments ni les menaces, embrassèrent ouvertement Son parti. Malgré les impostures de Ses ennemis : "De turba autem multi crediderunt in Eum". Tous ceux qui suivirent le Christ L’ont-ils suivi jusque dans la gloire ? Oh ! c’est ici que, révérant ce profond mystère, j’adore en silence les abîmes des décrets divins, plutôt que de décider avec témérité un si grand point ! C’est un grave sujet que celui que je dois traiter aujourd’hui ; il a fait trembler les colonnes mêmes de l’Eglise, rempli de terreur
les plus grands saints et peuplé d’anachorètes les déserts. Cette instruction, dans laquelle il s’agit de décider si le nombre des chrétiens qui se sauvent est plus grand ou moins grand que le nombre des chrétiens qui se perdent, vous inspirera, je l’espère, une crainte salutaire des jugements de Dieu.

II. Celui qui se damne, se damne par sa propre malice.

Mes frères, je voudrais, à cause de l’amour que je vous porte, pouvoir vous rassurer par les pronostics d’un bonheur éternel, en disant à chacun de vous : le paradis vous est assuré ; le plus grand nombre des chrétiens se sauvent, vous vous sauverez donc aussi. Mais comment puis-je vous donner cette douce assurance, si, ennemis de vous-mêmes, vous vous révoltez contre les décrets de Dieu ? J’aperçois en Dieu un sincère désir de vous sauver, mais je vois en vous une inclination décidée à vous perdre. Que ferai-je donc aujourd’hui si je parle clairement ? Je vous déplairai. Si je ne parle pas, je déplais à Dieu. Je partagerai donc ce sujet en deux points : dans le premier, pour vous épouvanter, je laisserai les théologiens et les Pères de l’Eglise décider la question, et prononcer que la plus grande partie des chrétiens adultes se damnent ; et, adorant en silence ce terrible mystère, je tiendrai caché mon propre
sentiment. Dans le second point, j’essaierai de venger contre les impies la bonté de Dieu, en vous prouvant que ceux qui se damnent se damnent par leur propre malice, parce qu’ils ont voulu se damner. Voici donc deux vérités très importantes. Si la première vous effraie, ne vous en prenez pas à moi, comme si je voulais resserrer pour vous le chemin du ciel. Car je veux être neutre dans cette question : prenez-vous en plutôt aux théologiens et aux Pères de l’Eglise, qui, à force de raisons, vous imprimeront cette vérité dans le cœur. Si vous êtes détrompés par la seconde, rendez-en grâce à Dieu, qui ne veut qu’une chose, c’est que vous Lui donniez entièrement vos cœurs. Enfin si vous me forcez à dire clairement ce que je pense, je le ferai pour votre consolation.

Ce n’est pas une curiosité, mais une précaution.

Ce n’est pas une vaine curiosité, mais une précaution salutaire, de faire retentir du haut de la chaire certaines vérités qui servent merveilleusement à réprimer l’insolence des libertins, lesquels, parlant toujours de la miséricorde de Dieu et de la facilité de se convertir, vivent plongés dans toute sorte de péchés et dorment en assurance dans le chemin de la perdition. Pour les détromper et les réveiller de leur torpeur, examinons aujourd’hui cette grande question : le nombre des chrétiens qui se sauvent est-il plus grand que celui des chrétiens qui se perdent ? Ames pieuses, retirez-vous, ce sermon n’est pas pour vous : il a uniquement pour but de réprimer l’orgueil de ces libertins qui, chassant de leur cœur la sainte crainte de Dieu, se liguent avec le démon, lequel, au sentiment d’Eusèbe, perd les âmes en les rassurant “ immittit securitatem ut immittat perditionem ”. Pour résoudre ce doute, mettez d’un
côté tous les Pères de l’Eglise, tant grecs que latins, de l’autre les théologiens les plus savants, les historiens les plus érudits et placez au milieu la Bible exposée au regard de tous. Ecoutez donc, non ce que je vais vous dire, car je vous ai déclaré que je ne voulais pas prendre moi-même la parole ni décider la question, mais ce que vous diront ces grands esprits, qui servent comme de phares dans l’Eglise de Dieu, pour éclairer les autres afin qu’ils ne manquent pas le chemin du ciel. De cette manière, guidés par la triple lumière de la foi, de l’autorité et de la raison, nous pourrons résoudre sûrement cette grave question.

Remarquez bien qu’il ne s’agit pas ici du genre humain tout entier, ni de tous les catholiques sans distinction, mais seulement des catholiques adultes, qui, ayant le libre arbitre, peuvent coopérer à la grande affaire de leur salut. Consultons d’abord les théologiens dont on reconnaît qu’ils examinent les choses de plus près et n’exagèrent pas dans leur enseignement ; écoutons deux savants cardinaux, Cajetan et Bellarmin : ils enseignent que la plus grande partie des chrétiens adultes se damnent et, si j’avais le temps de vous exposer les raisons sur lesquelles ils s’appuient, vous en seriez convaincus vous-même. Je me contenterai de citer ici Suarez qui, après avoir consulté tous les théologiens, après avoir étudié attentivement la question, a écrit ces mots : « Le sentiment le plus commun tient que parmi les chrétiens il y a plus de réprouvés que de prédestinés ».

Que si, à l’autorité des théologiens, vous voulez joindre celle des Pères grecs et latins, vous trouverez que presque tous disent la même chose. C’est le sentiment de saint Théodore, de saint Basile, de saint Ephrem, de saint Jean Chrysostome. Bien plus, au rapport de Baronius, c’était une opinion commune parmi les Père Grecs que cette vérité avait été expressément révélée à saint Siméon Stylite et que c’était pour assurer l’affaire de son salut qu’il s’était décidé, par suite de cette révélation, à vivre debout pendant quarante ans sur une colonne, exposé à toutes les injures du temps, modèle pour tous de pénitence et de sainteté. Consultez maintenant les pères latins, et vous entendrez saint Grégoire vous dire en termes clairs : « Beaucoup parviennent à la foi, mais peu au royaume céleste ». « Il en est peu qui se sauvent », dit saint Anselme, et saint Augustin dit plus clairement encore : « Il en
est donc peu qui se sauvent en comparaison de ceux qui se perdent ». Le plus terrible cependant est saint Jérôme qui, sur la fin de sa vie, en présence de ses disciples, prononça cette épouvantable sentence : « Sur cent mille, dont la vie a toujours été mauvaise, vous en trouverez un à peine qui mérite l’indulgence ».

III. Témoignages de l’Ecriture.

Mais pourquoi chercher les opinions des Pères et des théologiens, lorsque la Sainte Ecriture tranche si clairement la question ? Parcourez l’Ancien et le Nouveau Testament, et vous y trouverez une multitude de figures, de symboles et de paroles qui font ressortir clairement cette vérité : il en est très peu qui se sauvent. Au temps de Noé, tout le genre humain fut submergé par le déluge, et huit personnes seulement furent sauvées dans l’arche. « Or, cette arche, dit saint Pierre, était la figure de l’Eglise », « et ces huit personnes qui se sauvent, reprend saint Augustin, signifient qu’il y a très peu de chrétiens de sauvés, parce qu’il en est très peu qui renoncent sincèrement au siècle, et que ceux qui n’y renoncent que de parole n’appartiennent point au mystère représenté par cette arche ».

La Bible nous dit encore que deux Hébreux seulement sur deux millions entrèrent dans la terre promise après la sortie d’Egypte ; que quatre personnes seulement échappèrent à l’incendie de Sodome et des autres villes infâmes qui périrent avec elle. Tout cela signifie que le nombre des réprouvés, qui doivent être jetés au feu comme de la paille, l’emporte de beaucoup sur celui des élus que le Père céleste doit ramasser un jour comme un froment précieux dans ses greniers.

Je n’en finirais point, s’il me fallait exposer ici toutes les figures par lesquelles les Livres saints confirment cette vérité : contentons-nous d’écouter l’oracle vivant de la sagesse incarnée. Que répondit Notre-Seigneur à ce curieux de l’Evangile qui Lui demandait : « Seigneur, y en aura-t-il peu à se sauver ? » Garda-t-Il le silence ? répondit-Il, en hésitant ? dissimula-t-Il sa pensée, dans la crainte d’effrayer la foule ? Non : interrogé par un seul, Il s’adresse à tous ceux qui étaient présents. Vous me demandez, leur dit-Il, s’il en est peu qui se sauvent. Voici ma réponse : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car beaucoup, je vous le dis, chercheront à entrer et ne le pourront ». Qui parle ici ! C’est le fils de Dieu, la vérité éternelle, qui dit plus clairement encore dans une autre occasion : « Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus ». Il ne dit pas : tous sont appelés, et entre
tous les hommes peu sont élus. Mais il dit : Beaucoup sont appelés, c’est-à-dire, comme l’explique saint Grégoire, qu’entre tous les hommes, beaucoup sont appelés à la vraie foi, mais parmi eux il en est peu qui se sauvent. Ces paroles, mes frères, sont de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; sont-elles claires ? Elles sont vraies. Dites-moi maintenant s’il est possible d’avoir la foi dans le cœur, et de ne pas trembler.

IV. Examen des divers états.

Ah ! je m’aperçois qu’en parlant ainsi de tous en général, je manque mon but : appliquons donc cette vérité aux divers états, et vous comprendrez qu’il faut ou renoncer à la raison, à l’expérience, au sens commun des fidèles, ou confesser que le plus grand nombre des catholiques se perd. Y a-t-il au monde un état plus favorable à l’innocence, où le salut semble plus facile, et dont on ait une plus haute idée que celui des prêtres, qui sont les lieutenants de Dieu ? Qui ne croirait, au premier abord, que la plupart d’entre eux sont non seulement bons, mais encore parfaits ; et cependant je suis saisi d’horreur, lorsque j’entends un saint Jérôme avancer que, quoique le monde soit plein de prêtres, il en est à peine un sur cent qui vive d’une manière conforme à son état ; lorsque j’entends un serviteur de Dieu attester qu’il a appris par révélation que le nombre de prêtres qui tombent journellement en enfer est
si grand, qu’il ne lui semblait pas possible qu’il en restât autant sur la terre : lorsque j’entends saint Chrysostome s’écrier les larmes aux yeux : « Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de prêtres qui se sauvent, mais je crois au contraire, que le nombre de ceux qui se perdent est bien plus grand ».

Regardez plus haut encore ; voyez les prélats de la Sainte Eglise, les curés ayant charge d’âmes : le nombre de ceux qui se sauvent parmi eux est-il plus grand que le nombre de ceux qui se perdent ? Ecoutez Cantimpré ; il vous racontera un fait, ce sera à vous d’en tirer les conséquences. Un synode se tenait à Paris : un grand nombre de prélats et de curés à charge d’âmes s’y trouvèrent ; le roi et les princes vinrent encore ajouter par leur présence à l’éclat de cette assemblée. Un célèbre prédicateur fut invité à prêcher ; et pendant qu’il préparait son sermon, un horrible démon lui apparut, et lui dit : « Laisse de côté tous tes livres ; si tu veux faire un sermon utile à ces princes et à ces prélats, contente-toi de leur dire de notre part : « Nous, princes des ténèbres, nous vous rendons grâce, à vous princes, prélats et pasteurs des âmes, de ce que, par votre négligence, le plus grand nombre des
fidèles se perd ; aussi nous nous réservons de vous récompenser de cette faveur, quand vous serez avec nous en enfer ».

Malheur à vous qui commandez aux autres : s’il en est tant qui se damnent par votre faute, que sera-ce de vous ? Si parmi ceux qui sont les premiers dans l’Eglise de Dieu il en est peu qui se sauvent, que deviendrez-vous ? Prenez tous les états, tous les sexes, toutes les conditions, maris, femmes, veuves, jeunes filles, jeunes gens, soldats, marchands, artisans, riches, pauvres, nobles, plébéiens ; que dirons-nous de tous ces gens qui vivent si mal d’ailleurs ? Saint Vincent Ferrier vous montrera par un fait ce que vous devez en penser. Il rapporte qu’un archidiacre de Lyon, ayant renoncé à sa dignité et s’étant retiré dans un désert pour y faire pénitence, mourut le même jour et à la même heure que saint Bernard. Apparaissant à son évêque après sa mort, il lui dit : « Sachez, Monseigneur, qu’à l’heure même ou j’ai expiré trente-trois mille personnes sont mortes. Sur ce nombre, Bernard et moi nous sommes montés au
ciel sans délai, trois sont entrés au Purgatoire, et tous les autres sont tombés en enfer ».

Nos chroniques racontent un fait plus épouvantable encore. Un de nos religieux, célèbre par sa doctrine et sa sainteté, prêchant en Allemagne, représenta avec tant de force la laideur du péché impur qu’une femme tomba morte de douleur à la vue de tout le monde. Puis, revenant à la vie, elle dit : « Lorsque j’ai été présentée au Tribunal de Dieu, soixante mille personnes y arrivaient en même temps de toutes les parties du monde ; sur ce nombre, trois ont été sauvées en passant par le purgatoire, et tout le reste a été damné ».

O abîme des jugements de Dieu ! de trente-trois mille, cinq seulement se sauvent ! de soixante mille il n’y en a que trois qui vont au ciel ! Pécheurs qui m’écoutez, de quel nombre serez-vous ?... Que dites-vous ?... Que pensez-vous ?...

V. Les deux chemins.

Je vois que presque tous vous baissez la tête, saisis d’étonnement et d’horreur. Mais déposez votre stupeur, et au lieu de nous flatter, tâchons de retirer de notre crainte quelqu’avantage. N’est-il pas vrai qu’il y a deux voies qui conduisent au ciel, l’innocence et le repentir ? Or, si je vous démontre qu’il en est très peu qui prennent l’une de ces deux routes, vous conclurez en hommes raisonnables qu’il en est très peu qui se sauvent. Et pour en venir aux preuves, quel âge, quel emploi, quelle condition trouverez-vous où le nombre des méchants ne soit pas cent fois plus considérable que celui des bons, et de qui l’on puisse dire : « Les Bons y sont rares et les méchants très nombreux » ? On peut dire de notre temps ce que saint Salvien disait du sien : il est plus facile de trouver une multitude innombrable de pécheurs plongés dans toute sorte d’iniquités que quelques innocents. Combien y en a-t-il, parmi les
serviteurs, qui soient entièrement .probes et fidèles dans leur office ? Combien, parmi les marchands, qui soient justes et équitables dans leur commerce ? Combien, parmi les artisans, qui soient exacts et véridiques ? Combien, parmi les négociants, qui soient désintéressés et sincères ? Combien, parmi les gens de loi, qui ne trahissent pas l’équité ? Combien de soldats qui ne foulent pas aux pieds l’innocence ? Combien de maîtres qui ne retiennent pas injustement le salaire de ceux qui les servent ou qui ne cherchent pas à dominer leurs inférieurs ? Partout les bons sont rares et les méchants nombreux. Qui ne sait qu’aujourd’hui il y a tant de libertinage parmi les jeunes gens, tant de malice parmi les hommes mûrs, tant de liberté parmi les jeunes filles, de vanité chez les femmes, de licence dans la noblesse, de corruption dans la bourgeoisie, de dissolution dans le peuple, tant d’impudence chez les pauvres, que l’on peut
dire ce que David disait de son temps : « Tous ensemble se sont égarés... Il n’en est pas qui fasse le bien, pas même un seul » (Ps. XIII et LII).

Nous sommes arrivés, hélas ! à ce déluge universel de vices prédit par Osée :

Maledictum et mendacium et furtum et adulterium inundaverunt.

Parcourez les rues et les places, les palais et les maisons, les villes et les campagnes, les tribunaux et les cours, les temples de Dieu même : où trouverez-vous la vertu ? « Hélas ! dit saint Salvien, à l’exception d’un très petit nombre qui fuient le mal, qu’est-ce que l’assemblée des chrétiens, sinon une sentine de tous les vices ? » On ne trouve partout qu’intérêt, ambition, gourmandise et luxe. La plus grande partie des hommes n’est-elle pas souillée par le vice impur, et saint Jean n’a-t-il pas raison de dire que le monde, si l’on peut appeler ainsi quelque chose d’aussi immonde, est tout entier posé dans le mal ? Ce n’est pas moi qui vous le dis, c’est la raison qui vous force à croire que parmi tant de gens qui vivent si mal, il en est très peu qui se sauvent.

VI. Les Confessions.

Mais la pénitence, dites-vous, ne peut-elle pas réparer avec avantage la perte de l’innocence ? C’est vrai, j’en conviens : mais je sais aussi que la pénitence est si difficile dans la pratique, qu’on en a tellement perdu l’usage, ou qu’on en abuse tellement parmi les pécheurs que cela seul suffit pour vous convaincre qu’il en est peu qui se sauvent par cette voie. Oh ! que ce chemin est escarpé, étroit, semé d’épines, horrible à voir, dur à monter ! On y voit partout des traces sanglantes, et des choses qui rappellent de tristes souvenirs. Combien défaillent rien qu’à le voir ! Combien se retirent dès le commencement ! Combien tombent de fatigue au milieu, combien s’abandonnent misérablement à la fin ! et qu’il en est peu qui y persévèrent jusqu’à la mort ! Saint Ambroise déclare qu’il est plus facile de trouver des hommes qui aient gardé l’innocence, que d’en trouver qui aient fait une pénitence
convenable : « Facilius inveni qui innocentiam servaverint, quam qui congruam pœnitentiam egerint ».

Si vous considérez la pénitence comme sacrement, que de confessions tronquées, que d’apologies étudiées, que de repentirs trompeurs, que de promesses mensongères, que de propos inefficaces, que d’absolutions nulles ! Regarderez-vous comme valide la confession de celui qui s’accuse de péchés déshonnêtes dont il garde auprès de lui l’occasion, ou de celui qui s’accuse d’injustices manifestes sans avoir l’intention de les réparer autant qu’il le peut ; ou de celui qui, à peine confessé, retombe dans les mêmes iniquités ? Oh ! abus horribles d’un si grand sacrement !

L’un se confesse pour éviter l’excommunication, l’autre pour se donner la réputation d’un pénitent. Celui-ci se débarrasse de ses péchés pour calmer ses remords, celui-là les cache par honte ; l’un les accuse imparfaitement par malice, l’autre les découvre par habitude. Celui-ci ne se propose point la véritable fin du sacrement ; celui-là manque de la douleur nécessaire ; un autre du ferme propos. Pauvres confesseurs, que d’efforts ne vous faut-il pas pour amener la plus grande partie des pénitents à ces résolutions, à ces actes, sans lesquels la confession est un sacrilège, l’absolution une condamnation et la pénitence une illusion !

Où sont maintenant ceux qui croient que le nombre des élus parmi les chrétiens est plus grand que celui des réprouvés, et qui, pour autoriser leur opinion, raisonnent ainsi la plus grande partie des catholiques adultes meurent dans leurs lits, munis des sacrements de l’Eglise, donc la plupart des catholiques adultes sont sauvés ? Oh ! quel beau raisonnement ! Il faut dire tout le contraire. La plupart des catholiques adultes se confessent mal pendant leur vie, donc à plus forte raison ils se confessent mal à la mort, donc la plupart sont damnés. Je dis : à plus forte raison, parce qu’un moribond qui ne s’est pas bien confessé pendant qu’il était en santé aura beaucoup plus de peine encore à le faire lorsqu’il sera au lit, le cœur oppressé, la tête chancelante, la raison assoupie ; lorsqu’il sera combattu en plusieurs manières par les objets encore vivants, par les occasions encore fraîches, par les habitudes contractées,
et surtout par les démons qui cherchent tous les moyens de le précipiter en enfer ? Or si à tous ces faux pénitents vous ajoutez tant d’autres pécheurs qui meurent à l’improviste dans le péché, ou par l’ignorance des médecins, ou par la faute des parents, qui meurent empoisonnés ou ensevelis dans un tremblement de terre, ou frappés d’apoplexie, ou dans une chute ou sur un champ de bataille, ou dans une rixe, ou pris dans un piège, ou frappés de la foudre, ou brûlés, ou noyés, n’êtes-vous pas forcé de conclure que la plupart des chrétiens adultes sont damnés ? C’est le raisonnement de saint Chrysostome. La plupart des chrétiens, dit ce saint, ne marchent-ils pas toute leur vie dans le chemin de l’enfer. Pourquoi donc vous étonner que le plus grand nombre aille en enfer ? Pour arriver à la porte il faut prendre le chemin qui y mène. Qu’avez-vous à répondre à une raison si forte ?

VII. Comme les sables de la mer... Comme les étoiles du firmament...

La réponse, me direz-vous, c’est que la miséricorde de Dieu est grande. Oui, pour celui qui le craint : « Misericordia Domini super timentes eum », dit le Prophète ; mais Sa justice est grande pour celui qui ne le craint pas, et elle réprouve tous les pécheurs opiniâtres : « Discedite a Me, omnes operarü iniquitatis ».

Mais alors, me direz-vous, pour qui est donc le paradis, s’il n’est pas pour les chrétiens ? Il est pour les chrétiens, sans doute, mais pour ceux qui ne déshonorent pas leur caractère, et qui vivent en chrétiens. Et d’ailleurs, si au nombre des chrétiens adultes qui meurent dans la grâce de Dieu vous ajoutez cette foule innombrable d’enfants qui meurent après le baptême, avant d’avoir atteint l’âge de raison, vous ne vous étonnerez plus que l’apôtre saint Jean ait dit en parlant des élus : « J’ai vu une grande foule que personne ne pouvait compter ».

Et c’est là ce qui trompe ceux qui prétendent que le nombre des élus parmi les catholiques est plus grand que celui des réprouvés. Il est certain que, si vous prenez tous les catholiques ensemble, la plus grande partie se sauve, parce que, d’après les observations qui ont été faites, la moitié des enfants environ meurent après le baptême, avant l’âge de raison. Or, si à ce nombre vous ajoutez les adultes qui ont conservé la robe de l’innocence, ou qui, après l’avoir souillée, l’ont lavée dans les larmes de la pénitence, il est certain que le plus grand nombre est sauvé ; et c’est là ce qui explique les paroles de l’Apôtre saint Jean : « J’ai vu une grande foule », et ces autres de Notre-Seigneur : « Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident, et se reposeront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux », et les autres figures que l’on a coutume de citer en faveur de cette opinion. Mais si
l’on parle des chrétiens adultes, l’expérience, la raison, l’autorité, la convenance et l’Ecriture s’accordent à prouver que le plus grand nombre se damne. Ne croyez pas pour cela que le paradis soit désert ; c’est au contraire un royaume très peuplé ; et si les réprouvés sont aussi nombreux que les sables de la mer, les élus le sont autant que les étoiles du firmament, c’est-à-dire que les uns et les autres sont innombrables, quoiqu’en des proportions très différentes. Saint Jean Chrysostome, prêchant un jour dans la cathédrale de Constantinople et considérant cette proportion, ne put s’empêcher de frémir d’horreur : « Combien, dit-il, parmi ce peuple si nombreux croyez-vous qu’il y aura d’élus ? » Et sans attendre la réponse, il ajouta : « Parmi tant de milliers de personnes ou n’en trouverait pas cent qui se sauvent, et pour ce cent je doute encore ». Quelle chose épouvantable ! Le grand saint
croyait que dans un peuple si nombreux il y en avait à peine cent qui dussent se sauver, et encore n’était-il pas sûr de ce nombre. Qu’arrivera-t-il de vous qui m’écoutez ? Grand Dieu ? je n’y puis penser sans frémir. C’est une chose bien difficile, mes frères, que l’affaire du salut ; car selon la maxime des théologiens, quand une fin exige de grands efforts, peu seulement l’atteignent. « Deficit in pluribus, contingit in pauciori-bus ».

C’est pour cela que le Docteur Angélique saint Thomas, après avoir, avec son immense érudition, pesé toutes les raisons pour et contre, conclut à la fin que le plus grand nombre des catholiques adultes est damné : « La béatitude éternelle dépassant l’état de nature, surtout depuis qu’elle est privée de la grâce originelle, c’est le petit nombre qui se sauve ».

VIII. Dieu, Père Juste.

Otez-vous donc des yeux ce bandeau dont vous aveugle l’amour-propre, et qui vous empêche de croire une vérité aussi évidente, en vous donnant les idées les plus fausses sur la justice de Dieu. « Père juste ! le monde ne Vous connaît point », dit Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il ne dit pas Père tout-puissant, Père très bon, miséricordieux, Il dit : « Père juste », pour nous faire entendre que de tous les attributs de Dieu, il n’en est aucun qui soit moins connu que Sa justice, parce que les hommes refusent de croire ce qu’ils craignent d’éprouver. Otez donc le voile qui vous bouche les yeux, et dites avec larmes : Hélas ! le plus grand nombre des catholiques, le plus grand nombre des habitants de ce lieu, et peut-être même de cet auditoire, sera damné. Quel sujet mérite plus vos larmes ? Le roi Xerxès, voyant du haut d’une colline son armée composée de cent mille soldats rangés en ordre de bataille et considérant que
de tout cela il n’y aurait pas un seul homme vivant dans cent ans, ne put retenir ses larmes. N’avons-nous pas bien plus de raison de pleurer en pensant que, de tant de catholiques, le plus grand nombre sera damné ?

Cette pensée ne devrait-elle pas tirer de nos yeux des ruisseaux de larmes ou du moins exciter dans nos cœurs ce sentiment de compassion qu’éprouva autrefois le vénérable Marcel de saint Dominique, religieux Augustin ? Comme il méditait un jour sur les peines éternelles, le Seigneur lui montra combien d’âmes allaient en ce moment en enfer et lui fit voir un chemin très large ou vingt-deux mille réprouvés couraient vers l’abîme, se heurtant les uns les autres. A cette vue, le serviteur de Dieu, stupéfait, s’écria : « Oh ! quel nombre ! quel nombre ! et encore il en vient d’autres. O Jésus ! O Jésus ! quelle folie ! » Laissez-moi donc répéter avec Jérémie : « Qui donnera de l’eau à ma tête et une source de larmes à mes yeux, et je pleurerai ceux que la fille de mon peuple a perdus ». Pauvres âmes ! Comment courez-vous si empressées vers l’enfer ? Arrêtez-vous de grâce, écoutez-moi un instant. Ou vous comprenez
ce que veut dire se sauver et se damner pendant toute l’éternité, ou bien vous ne comprenez pas. Si vous le comprenez, et si malgré cela vous ne vous décidez pas aujourd’hui à changer de vie, à faire une bonne confession, à fouler le monde aux pieds, en un mot, à faire tous vos efforts pour être du petit nombre de ceux qui se sauvent, je dis que vous n’avez pas la foi. Si vous ne le comprenez pas, vous êtes plus excusables ; car il faut dire que vous avez perdu le sens. Se sauver pendant toute l’éternité ! se damner pendant toute l’éternité ! et ne pas faire tous ses efforts pour éviter l’un et s’assurer l’autre, c’est une chose qui ne se peut concevoir.

Peut-être ne croyez-vous pas encore les vérités terribles que je viens de vous enseigner. Mais ce sont les théologiens les plus considérables, les Pères les plus illustres qui vous ont parlé par ma bouche. Comment pouvez-vous donc résister à des raisons fortifiées par tant d’exemples, par tant de paroles de l’Ecriture ? Si malgré cela, vous hésitez encore, et si votre esprit penche vers l’opinion opposée, cette seule considération ne suffit-elle pas pour vous faire trembler ? Ah ! vous faites voir par là que vous avez peu de souci de votre salut ? Dans cette affaire importante, un homme de sens est plus frappé par le moindre doute du danger qu’il court que par l’évidence d’une ruine complète dans les autres affaires où l’âme n’est point intéressée. Aussi un de nos religieux, le bienheureux Gille, avait coutume de dire que, si un seul homme eût dû se damner, il aurait fait tout son possible pour s’assurer que ce
n’était pas lui. Que devons-nous donc faire nous qui savons que, non seulement parmi tous les hommes, mais encore parmi les catholiques, le plus grand nombre sera damné ? Ce que nous devons faire ? Prendre la résolution d’appartenir au petit nombre de ceux qui se sauvent. Si le Christ, dites-vous, voulait me damner, pourquoi m’a-t-Il mis au monde ? Tais-toi, langue téméraire : Dieu n’a créé personne, pas même les Turcs, pour les damner ; mais quiconque se damne, se damne parce qu’il le veut bien. Je veux donc entreprendre maintenant de défendre la bonté de mon Dieu, et de la venger de tout reproche : ce sera le sujet du second point.

IX. Avant d’aller plus loin, ramassez d’un côté tous les livres et toutes les hérésies de Luther et de Calvin, de l’autre les livres et les hérésies des Pélagiens, des semi-Pélagiens et mettez-y le feu. Les uns détruisent la grâce, les autres la liberté, et tous sont remplis d’erreurs ; jetez-les donc au feu. Tous les réprouvés portent gravé sur leur front l’oracle du Prophète Osée : Ta perte vient de toi, afin qu’ils puissent comprendre que quiconque se damne, se damne par sa propre malice, et parce qu’il veut se damner.

Prenons d’abord pour base ces deux vérités incontestables : « Dieu veut que tous les hommes se sauvent ». « Tous ont besoin de la grâce de Dieu ». Or, si je vous démontre que Dieu a la volonté de sauver tous les hommes, et que pour cela Il leur donne à tous Sa grâce, avec tous les autres moyens nécessaires pour obtenir cette fin sublime, vous serez forcés de convenir que quiconque se damne doit l’imputer à sa propre malice, et que, si le plus grand nombre des chrétiens sont réprouvés, c’est parce qu’ils le veulent. « Ta perte vient de toi ; en Moi seulement est ton secours ».

Que Dieu ait vraiment la volonté de sauver tous les hommes, Il nous le déclare en cent endroits des livres saints. « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais plutôt qu’il se convertisse et qu’il vive. Je vis, dit le Seigneur. Je ne veux pas la mort de l’impie – convertissez-vous et vivez ». Lorsque quelqu’un désire beaucoup une chose, on dit qu’il en meurt de désir, c’est une hyperbole. Mais Dieu a voulu, et veut encore, si fortement notre salut qu’Il en est mort de désir, et Il a souffert la mort pour nous donner la vie : « et propter nostram salutem mortuus est ». Cette volonté de sauver tous les hommes n’est donc pas en Dieu une volonté affectée, superficielle et apparente, c’est une volonté vraie, effective et bienfaisante, car Il nous fournit tous les moyens les plus propres pour nous sauver, Il nous les donne, non pour qu’ils n’aient point leur effet et parce qu’Il voit qu’ils ne l’auront point ; mais Il
nous les donne avec une volonté sincère, avec l’intention qu’ils obtiennent leur effet, et, s’ils ne l’obtiennent pas, Il s’en montre affligé et offensé. Il ordonne aux réprouvés eux-mêmes de les employer à faire leur salut, Il les y exhorte, Il les y oblige, et s’ils ne le font pas, ils pèchent. Ils peuvent donc le faire et se sauver ainsi.

Bien plus, Dieu, voyant que sans Son aide nous ne pourrions pas même nous servir de Sa grâce, nous donne d’autres secours et s’ils restent quelquefois inefficaces, la faute en est à nous ; parce que, avec ces mêmes secours, in actu primo comme parlent les théologiens, avec ces mêmes secours dont l’un abuse et avec lesquels il se damne, un autre peut faire le bien et se sauver ; il le pourrait même avec des secours moins puissants. Oui, il peut se faire que l’un abuse d’une grâce plus grande et se perde, tandis que l’autre coopère à une moindre grâce et se sauve.

« Si donc quelqu’un s’écarte de la justice, s’écrie saint Augustin, il est emporté par son libre arbitre, entraîné par sa concupiscence, trompé par sa propre persuasion. Mais pour ceux qui n’entendent pas la théologie, voici ce que j’ai à leur dire : Dieu est si bon que, lorsqu’Il voit un pécheur courir à sa perte, Il court après, l’appelle, le prie et l’accompagne jusqu’aux portes de l’enfer ; et que ne fait-Il pas, pour le convertir ? Il lui envoie de bonnes inspirations, de saintes pensées, et s’il n’en profite pas, Il se fâche, Il s’indigne, Il le poursuit. Va-t-Il le frapper ? Non : Il vise en l’air et lui pardonne. Mais le pécheur ne se convertit pas encore : Dieu lui envoie une maladie mortelle. Tout est fini pour lui sans doute. Non, mes frères, Dieu le guérit ; le pécheur s’opiniâtre dans le mal, Dieu cherche dans Sa miséricorde quelque nouveau moyen ; Il lui donne encore un an, et, l’année
finie, Il lui en accorde une autre. Mais si malgré tout cela le pécheur veut se jeter en enfer, que fait Dieu ? L’abandonne-t-Il ? Non : Il le prend par la main ; et pendant qu’il a un pied en enfer et l’autre dehors, Il le prêche encore, Il le supplie de ne pas abuser de Ses grâces. Or, je vous le demande, si cet homme se damne, n’est-il pas, vrai qu’il se damne contre la volonté de Dieu et parce qu’il veut se damner ? Venez me dire maintenant : si Dieu voulait me damner, pourquoi m’a-t-Il mis au monde ?...

X. Il n’y a pas d’excuse.

Pécheur ingrat, apprenez aujourd’hui que si vous vous damnez, ce n’est point à Dieu qu’il faut l’imputer, mais à vous et à votre propre volonté. Pour vous en convaincre, descendez jusqu’aux portes de l’abîme : là je vous ferai venir quelqu’un de ces malheureux réprouvés qui brûlent en enfer, afin qu’il vous explique cette vérité. En voici un : « Dis-moi, qui es-tu ? –. Je suis un pauvre idolâtre, né dans une terre inconnue ; je n’ai jamais entendu parler ni du ciel ni de l’enfer, ni de ce que je souffre maintenant. – Pauvre malheureux ! va-t-en ; ce n’est pas toi que je cherche ». Qu’un autre vienne ; le voici ; « Qui es-tu ? – Je suis un schismatique des derniers confins de la Tartarie, j’ai toujours vécu dans l’état sauvage, sachant à peine qu’il y a un Dieu. – Ce n’est pas toi que je demande, retourne en enfer ». En voici un autre. « Et toi, qui es-tu ? – Je suis un pauvre hérétique du
Nord. Je suis né sous le pôle, sans avoir jamais vu ni la lumière du soleil, ni celle de la foi – Ce n’est pas toi encore que je demande, retourne en enfer ». Mes frères, j’ai le cœur brisé en voyant parmi les réprouvés ces malheureux qui n’ont jamais rien connu de la véritable foi. Sachez pourtant que la sentence de condamnation a été prononcée contre eux, on leur a dit : Perditio tua ex te. Ils se sont damnés parce qu’ils l’ont voulu. Que de secours ils ont reçus de Dieu pour se sauver ! Nous ne les connaissons pas, mais ils le savent bien, et ils s’écrient maintenant : « Vous êtes juste, Seigneur, et Vos jugements sont équitables »(Ps, 119 ; 137).

Vous devez savoir, mes frères, que la loi la plus ancienne est la loi de Dieu, que nous la portons tous écrite en notre cœur, qu’elle s’apprend sans maître, et qu’il suffit d’avoir la lumière de la raison pour connaître tous les préceptes de cette loi. C’est pour cela que les barbares eux-mêmes se cachent pour commettre leurs péchés parce qu’ils savent le mal qu’ils font ; et ils sont damnés pour n’avoir pas observé la loi naturelle qu’ils avaient gravée dans le cœur : car s’ils l’avaient observée, Dieu aurait fait un miracle plutôt que de les laisser se damner ; il leur aurait envoyé quelqu’un pour les instruire et leur aurait donné d’autres secours dont ils se sont rendus indignes en ne vivant pas conformément aux inspirations de leur propre conscience qui n’a jamais manqué de les avertir et du bien qu’il fallait faire, et du mal qu’il fallait éviter. Aussi c’est leur conscience qui les a accusés
au Tribunal de Dieu, c’est elle qui leur dit continuellement en enfer : Perditio tua ex te, perditio tua ex te. Ils ne savent que répondre et sont forcés de confesser qu’ils ont mérité leur sort. Or, si ces infidèles n’ont point d’excuse, y en aura-t-il pour un catholique, qui a eu à sa disposition tant de sacrements, tant de sermons, tant de secours ? Comment ose-t-il dire : si Dieu devait me damner, pourquoi m’a-t-Il mis au monde ? Comment ose-t-il parler ainsi, lorsque Dieu lui donne tant de secours pour se sauver ? Achevons donc de le confondre.

XI. Le sort des catholiques pécheurs.

Répondez, vous qui souffrez dans ces abîmes. Y a-t-il des catholiques parmi vous ? S’il y en a ! Et combien ! Que l’un d’eux vienne donc ici. C’est impossible, ils sont trop bas, et, pour les faire venir, il faudrait bouleverser tout l’enfer ; il est plus facile d’arrêter un de ceux qui y tombent. Je m’adresse donc à toi qui vis dans l’habitude du péché mortel, dans la haine, dans la fange du vice impur et qui chaque jour t’approches davantage de l’enfer. Arrête-toi, retourne en arrière ; c’est Jésus qui t’appelle et qui, par Ses plaies, comme par autant de voix éloquentes, te crie : « Mon fils, si tu te damnes, tu n’as à te plaindre que de toi : Perditio tua ex te ». Lève les yeux, et vois de combien de grâces Je t’ai enrichi, afin d’assurer ton salut éternel. Je pouvais te faire naître dans une forêt de la Barbarie ; Je l’ai fait pour tant d’autres, mais pour toi, Je t’ai fait naître dans la foi
catholique ; Je t’ai fait élever par un si bon père, par une mère excellente, au milieu des instructions et des enseignements les plus purs ; si malgré cela tu te damnes, à qui sera la faute ? A toi, Mon fils, à toi Perditio tua ex te. Je pouvais te précipiter en enfer après le premier péché mortel que tu as commis, sans attendre le second : Je l’ai fait avec tant d’autres, mais J’ai pris patience avec toi ; Je t’ai attendu pendant de longues années, Je t’attends encore aujourd’hui à la pénitence. Si malgré tout cela tu te damnes, à qui la faute ? A toi, Mon fils, à toi : Perditio tua ex te. Tu sais combien sont mort en réprouvés sous tes yeux : c’était un avertissement pour toi ; tu sais combien d’autres J’ai remis dans la bonne voie pour te donner le bon exemple. Te rappelles-tu ce que t’a dit cet excellent confesseur ? C’est Moi qui le lui faisais dire. Ne t’engagea-t-il pas à changer de vie, à faire une
bonne confession ? C’est Moi qui le lui inspirais. Souviens-toi de ce sermon qui te toucha le cœur, c’est Moi qui t’y ai conduit. Et ce qui s’est passé entre Moi et toi dans le secret de ton cœur, tu ne le saurais oublier. Ces inspirations intérieures, ces connaissances si claires, ces remords continuels de ta conscience, tu oserais les nier ? Tout cela, c’était autant de secours de Ma grâce, parce que Je voulais te sauver. Je les ai refusés à tant d’autres et Je te les ai donnés à toi, parce que Je t’aimais tendrement. Mon fils, Mon fils, combien d’autres, si Je leur parlais aussi tendrement que Je te parle aujourd’hui, se remettraient dans la bonne voie ! et toi, tu Me tournes le dos. Ecoute ce que Je vais te dire, ce seront Mes dernières paroles : tu m’as coûté du sang ; si malgré ce sang que J’ai versé pour toi, tu veux te damner, ne te plains pas de Moi, n’accuse que toi, et pendant toute l’éternité
n’oublie pas que si tu te damnes, tu te damnes malgré Moi, tu te damnes parce que tu veux te damner : Perditio tua ex te ».

Ah ! mon bon Jésus, les pierres elles-mêmes se fendraient à de si douces paroles, à des expressions si tendres. Y a-t-il ici quelqu’un qui veuille se damner avec tant de grâces et de secours ? S’il en est un, qu’il m’écoute, et qu’il résiste ensuite s’il le peut.

XII. Si vous le voulez, vous vous sauverez.

Baronius rapporte que Julien l’apostat, après son infâme apostasie, conçut une haine si vive contre le Saint Baptême, qu’il cherchait jour et nuit les moyens de l’effacer. Il fit pour cela préparer un bain de sang de chèvres et se mit dedans, voulant, avec ce sang impur d’un victime consacrée à Vénus, effacer de son âme le caractère sacré du Baptême. Cette conduite vous paraît abominable : mais si Julien avait pu réussir dans son dessein, il est certain qu’il aurait souffert beaucoup moins en enfer.

Pécheurs, le conseil que je veux vous donner vous paraîtra sans doute étrange ; et cependant, à le bien prendre, il est au contraire inspiré par une tendre compassion pour vous. Je vous conjure donc à genoux, par le Sang de Jésus-Christ et par le Cœur de Marie, de changer de vie, de vous remettre dans la voie qui conduit au ciel, et de faire tout votre possible pour appartenir au petit nombre des élus. Si, au lieu de cela, vous voulez continuer de marcher dans la voie qui conduit aux enfers, trouvez du moins le moyen d’effacer en vous le baptême. Malheur à vous, si vous emportez en enfer gravé dans votre âme le nom sacré de Jésus-Christ et le caractère sacré du chrétien. Votre confusion en sera beaucoup plus grande. Faites donc ce que je vous conseille : si vous ne voulez pas vous convertir, allez dès aujourd’hui prier votre curé d’effacer votre nom du registre des baptêmes, afin qu’il ne reste plus aucun souvenir que vous
ayez jamais été chrétien, suppliez votre ange gardien d’effacer de son livre les grâces, les inspirations et les secours qu’il vous a donnés par l’ordre de Dieu, car malheur à vous s’il se les rappelle. Dites à Notre-Seigneur qu’il reprenne Sa foi, Son baptême, Ses sacrements. Vous êtes saisis d’horreur à cette pensée. Jetez-vous donc aux pieds de Jésus-Christ, et dites-Lui, les larmes aux yeux et le cœur contrit : « Seigneur, je confesse que jusqu’ici je n’ai point vécu en chrétien, je ne suis pas digne d’être compté parmi Vos élus, je reconnais que j’ai mérité la damnation, mais Votre miséricorde est grande : et plein de confiance en Votre grâce, je vous proteste que je veux sauver mon âme, dussé-je sacrifier ma fortune, mon honneur, ma vie même, pourvu que je me sauve. Si jusqu’ici j’ai été infidèle, je m’en repens, je déplore, je déteste mon infidélité, je vous en demande humblement pardon.
Pardonnez-moi, mon bon Jésus, et fortifiez-moi en même temps, afin que je me sauve. Je ne Vous demande ni les richesses, ni les honneurs, ni la prospérité ; je ne demande qu’une chose, c’est de sauver mon âme ».

Et Vous, ô Jésus ! que dites-Vous ? Voici la brebis errante qui revient à Vous, ô bon Pasteur ; embrassez ce pécheur repentant, bénissez ses larmes et ses soupirs, ou plutôt bénissez ce peuple si bien disposé et qui ne veut plus chercher autre chose que son salut.

Protestons, mes frères, aux pieds de Notre-Seigneur, que nous voulons coûte que coûte, sauver notre âme. Disons-Lui tous, les larmes aux yeux : « Bon Jésus, je veux sauver mon âme ». O larmes bénies, ô bienheureux soupirs !

Je veux, mes frères, vous renvoyer tous consolés aujourd’hui. Si donc vous me demandez mon sentiment sur le nombre des élus, le voici : qu’il y ait beaucoup ou peu d’élus, je dis que celui qui veut se sauver se sauve, et que personne ne se perd s’il ne veut se perdre. Et s’il est vrai qu’il en est peu qui se sauvent, c’est qu’il y en a peu qui vivent bien. Au reste, comparez ces deux opinions : la première, qui dit que le plus grand nombre des catholiques sont condamnés ; la seconde, qui prétend au contraire que le plus grand nombre des catholiques sont sauvés ; représentez-vous qu’un ange, envoyé par Dieu pour confirmer la première opinion, vienne vous dire que non seulement la plupart des catholiques sont damnés mais que de toute cette foule ici présente, un seul sera sauvé. Si vous obéissez aux commandements de Dieu, si vous détestez la corruption de ce siècle, si vous embrassez avec un esprit de pénitence la Croix
de Jésus-Christ, vous serez ce seul qui se sauvera. Représentez-vous ensuite que cet ange revienne parmi vous, et que, pour confirmer la seconde opinion, il vous dise que non seulement la plus grande partie des catholiques sont sauvés, mais que de tout cet auditoire une seule personne sera damnée et tous les autres se sauveront. Si vous continuez après cela vos usures, vos vengeances, vos actions criminelles, vos impuretés, vous serez ce seul qui se damnera.

A quoi sert donc de savoir s’il en est peu ou beaucoup qui se sauvent ? « Tachez de rendre votre élection certaine par vos bonnes œuvres », nous dit saint Pierre. « Si vous voulez, vous vous sauverez », dit saint Thomas d’Aquin à sa sœur, qui lui demandait ce qu’elle devait faire pour aller au ciel. Je vous dis la même chose : et voici comment je prouve mon assertion. Personne ne se damne s’il ne pèche mortellement, c’est de foi ; personne ne pèche mortellement s’il ne le veut, c’est là une proposition théologique incontestable. Donc personne ne va en enfer s’il le veut. La conséquence est évidente. Cela ne suffit-il pas pour vous consoler ? Pleurez les péchés passés, confessez-vous bien, ne péchez plus à l’avenir, et vous serez tous sauvés. Pourquoi donc tant se tourmenter, puisqu’il est certain que pour aller en enfer il faut pécher mortellement, que pour pécher mortellement il faut le vouloir, et que par
conséquent on ne va en enfer que si on le veut ? Ce n’est pas là une opinion, mais une vérité incontestable et bien consolante ; que Dieu vous la fasse comprendre et vous bénisse. Amen ».

 

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