mercredi 31 juillet 2013

Libéralisme Ch. 41 et 42


XLI

Y a-t il exagération à ne reconnaître comme parti parfaitement catholique qu'un parti radicalement antilibéral ?

Ce que vous venez de dire nous a convaincus, s'écrieront quelques-uns des nôtres, de ceux-là qui sont timides et craintifs à l'excès quand il s'agit de politique ou de parti ; mais, que doit être le parti auquel s'affiliera le bon catholique, pour défendre comme vous le dites, concrètement et pratiquement, sa foi contre l'oppression du libéralisme ? L’esprit de parti peut ici vous halluciner et faire que malgré vous, dans votre cœur, le désir de favoriser par le moyen de la religion une cause politique déterminée, l'emporte sur celui de favoriser par la religion la politique.

Il nous semble, ami lecteur, que nous présentons ici la difficulté dans toute sa force, et telle qu'on l'entend objecter par une foule de personnes. Heureusement il nous sera très facile de la réduire à néant, si grand que soit le nombre de nos frères qu'elle arrête court et réduit au silence.

Nous affirmons donc, sans crainte d'être logiquement contredits, que la manière la plus efficace et la plus logique de combattre le libéralisme, c'est de travailler en communauté de vues et d'efforts avec le parti le plus radicalement anti-libéral.

Mais c'est là une vérité de La Palisse !

D'accord, mais ce n'en est pas moins une vérité ; et à qui la faute s'il est devenu nécessaire de présenter à certaines gens les plus solides vérités de la philosophie sous une forme plus que naïve ? Non, ce n'est pas esprit de parti, mais esprit de vérité, que d'affirmer l'impossibilité d'une opposition efficace au libéralisme, en dehors d'un parti véritablement catholique, et ensuite l'impossibilité d'un parti radicalement catholique qui ne soit en même temps un parti radicalement anti-libéral.

Cette double affirmation affecte douloureusement certains palais viciés par les ragoûts des métis (catholiques-libéraux), mais elle n'en est pas moins incontestable. Le catholicisme et le libéralisme sont des systèmes de doctrine et d'action essentiellement opposés, nous croyons l'avoir démontré dans la série de nos articles. Il faut donc nécessairement reconnaître, quoi qu'il en coûte et si amer que cela nous paraisse, qu'il est impossible d'être intégralement catholique sans être intégralement anti-libéral. Ces idées donnent une équation rigoureusement mathématique. Les hommes et les partis (sauf les cas d'erreur et de bonne foi) ne sont catholiques dans leurs doctrines qu'autant qu'ils ne professent aucune opinion anti-catholique, et il est de toute évidence qu'ils professeront une doctrine anti-catholique toutes les fois qu'ils feront profession consciente, en tout ou en partie, de quelque doctrine libérale. Dire par suite tel parti libéral, telle personne libérale, n'est pas catholique, est une proposition aussi exacte que si l'on disait : ce qui est blanc n'est pas noir ou bien ce qui est rouge n'est pas bleu. C'est simplement énoncer d'un sujet ce qui résulte logiquement de l'application qu'on lui fait du principe de contradiction. Ne quid idem simul esse et non esse : « Une même chose ne peut être et ne pas être en même temps ». Vienne donc ici le plus savant des libéraux, et qu'il nous dise s'il est dans le monde un théorème de mathématiques dont la conclusion vaille mieux que la suivante : « Il n'y a de parti parfaitement catholique qu'un parti radicalement anti-libéral. »

Il n'y a donc, nous le répétons, d'autre parti catholique, acceptable en bonne thèse pour des catholiques, que celui où l'on professe, où l'on soutient, où l'on pratique des idées résolument anti-libérales. Tout autre, si respectable qu'il soit, si conservateur qu'il se montre, quel que puisse être l'ordre matériel qu'il assure au pays, les avantages et les biens que par accident il offre à la religion, n'est pas un parti catholique, du moment qu'il se présente fondé sur des principes libéraux, ou organisé dans un esprit libéral, ou dirigé vers un but libéral. En parlant ainsi, nous nous reportons à ce qui a été indiqué plus haut, à savoir : que parmi les libéraux, les uns acceptent uniquement les principes du libéralisme, sans en vouloir les applications, tandis que les autres acceptent ces applications sans vouloir, au moins ouvertement, admettre les principes. Nous le répétons donc : un parti libéral, dès qu'il est libéral, soit dans ses principes, soit dans ses applications, n'est pas plus catholique que le blanc n'est le noir, qu'un carré n'est un cercle, qu'une vallée n'est une montagne et que l'obscurité n'est la lumière.

Le journalisme révolutionnaire qui, pour bouleverser le monde, l'a doté d'une philosophie et d'une littérature spéciales, a inventé aussi une manière de raisonner qui lui est entièrement propre et qui consiste, non à raisonner comme on le faisait anciennement en déduisant les conséquences des principes, mais à raisonner comme on le fait dans les carrefours et les réunions de commères, en cédant à la première impression, en lançant à droite et à gauche de pompeuses paroles (sesquipedalia verba), en étourdissant et fatiguant son propre entendement et celui d'autrui d'un impétueux tourbillon de prose volcanique au lieu de l'éclairer et de le guider avec la brillante et sereine lumière d'une argumentation bien suivie. Il se scandalisera donc, la chose est certaine, de nous voir refuser le titre de catholique à tant de partis représentés dans la vie publique par des hommes qui, le cierge à la main, suivent nos processions, et représentés dans la presse par tant d'organes, qui pendant la Semaine Sainte publient des chants plaintifs (en-dechas) en l'honneur du Martyr du Golgotha (style progressiste pur) ou bien dans la nuit de Noël des cantiques joyeux (vellancicos) pour célébrer l'Enfant de Bethléem, et qui, par cela seul, se croient d'aussi légitimes représentants d'une politique catholique que le grand Cisneros et notre illustre Isabelle première. Eh bien ! qu'ils s'en scandalisent ou non, nous leur dirons qu'ils sont aussi catholiques que Cisneros et Isabelle furent luthériens et franc-maçons.

Chaque chose est ce qu'elle est, rien de plus. Les meilleures apparences ne peuvent rendre bon ce qui est essentiellement mauvais. Qu'il parle et qu'en tout il paraisse agir en catholique, le libéral n'en sera pas moins un libéral. Tout au plus sera-t-il un libéral honteux imitant le langage, le costume, les façons et les bonnes apparences des catholiques.

 

XLII

Où l'on donne en passant l'explication simple et claire d'une devise de la Revista Popular que beaucoup ont mal comprise.

« Comme vous laissez donc (dira quelqu'un) en mauvais état la devise si dogmatique pour plusieurs, qui a tant de fois retenti à nos oreilles ! Rien, pas même une pensée pour la politique, tout, jusqu'au dernier soupir, pour la Religion ».

Cette devise a sa raison d'être, mes amis, elle caractérise parfaitement, sans préjudice pour les grandes doctrines jusqu'ici exposées, la Revue de propagande populaire qui l'inscrit chaque semaine en tête de ses colonnes.

Son explication est facile et jaillit du caractère même de la propagande populaire, et du sens purement populaire qu'y reçoivent certaines expressions. Nous allons le démontrer rapidement.

Politique et religion, dans leur sens le plus élevé, dans leur sens métaphysique, ne sont pas des idées distinctes ; la première, au contraire, est contenue dans la seconde, comme la partie est contenue dans le tout, ou comme la branche est comprise dans l'arbre, pour nous servir d'une comparaison plus vulgaire.

La politique ou l'art de gouverner les peuples n'est autre chose, dans sa partie morale (la seule dont il soit question ici), que l'application des grands principes de la religion à la direction de la société, par les moyens nécessaires à sa véritable fin.

Considérée à ce point de vue, la politique est la religion ou fait partie de la religion, tout comme l'art de régir un monastère, la loi qui préside à la vie conjugale ou les devoirs mutuels des pères et des enfants. Par suite il serait absurde de dire : « Je ne veux rien pour la politique, parce que je veux tout pour la religion », attendu justement que la politique est une partie très importante de la religion, puisqu'elle est ou doit être simplement une application sur grande échelle des principes et des règles que la religion promulgue pour les choses humaines, qui sont toutes contenues dans son immense sphère. Mais, le peuple n'est pas métaphysicien, et dans les écrits de propagande populaire, on ne peut donner aux mots l'acception rigoureuse qu'ils reçoivent dans les écoles.

Si le propagandiste parlait en métaphysicien il ne serait pas compris dans les cercles et les petits comités où se recrute son public spécial. Il faut donc absolument qu'il donne à certaines paroles qu'il emploie le sens que leur prête le simple populaire dont il veut être compris. Or, le peuple, qu'entend-il par politique ? Il entend tel ou tel roi, tel ou tel président de la république dont il voit l'effigie sur les pièces de monnaie et le papier timbré, le ministère de telle ou telle couleur qui vient de tomber ou qui monte au pouvoir, les députés qui, divisés en majorité et minorité, se prennent aux cheveux pour faire triompher le parti qu'ils soutiennent ; le gouverneur civil et l'alcalde qui intriguent dans les élections, les contributions qu'il faut payer, les soldats et les employés qu'il faut faire vivre, etc, etc. Voilà, pour le peuple ce qu'est la politique, toute la politique, et il n'existe pas pour lui de sphère plus haute et plus transcendantale.

Par conséquent, dire au peuple : « Nous ne te parlerons pas de politique », c'est lui dire que, par le journal qu'on lui offre il ne saura jamais s'il y a une république ou une monarchie, si tel ou tel prince de souche vulgaire ou de dynastie royale porte le sceptre ou une couronne plus ou moins démocratisée, si les ordres qu'il reçoit, les impôts qu'il paye et les châtiments qu'il subit lui viennent par tel ou tel, d'un ministère avancé ou d'un ministère conservateur, si Perez a été nommé alcalde à la place de Fernandez, si c'est le voisin d'en face au lieu de celui du coin qui a obtenu un bureau de tabac. C'est ainsi que le peuple sait que ce journal ne lui parlera pas de politique (qui pour lui n'est pas autre chose que ce que nous venons de dire), mais seulement de religion. A notre humble avis c'est donc à juste titre que la Revue en question prit pour son programme dès le principe et conserve encore cette devise : Rien, pas même une pensée, pour la politique, etc, etc. Ainsi l'ont entendu dès le premier moment tous ceux qui ont compris l'esprit de cette revue, et pour l'entendre de la sorte ils n'eurent aucun besoin d'arguties et de subtilités. Du reste cette publication elle-même, si notre mémoire ne nous trompe, se chargea dans son premier article de déclarer sa pensée. Après avoir expliqué, comme nous venons de le faire, le sens de cette devise elle ajoutait : « Rien avec les divisions passagères qui troublent aujourd'hui les enfants de notre patrie. Qu'un roi ou le premier venu gouverne, qu'on intronise si on veut la république unitaire ou fédérale nous promettons sur l'honneur de n'y point faire opposition, pourvu que l'on respecte nos droits catholiques et qu'on ne froisse pas nos croyances. Remarquez le bien, l'immuable, l'éternel, ce qui est supérieur aux misérables petites intrigues de parti, c'est là ce que nous défendons, c'est à cela que nous avons consacré toute notre existence ». Et peu après, pour plus de clarté et pour mettre à la portée même des plus bornés le véritable sens de la phrase : Rien pour la politique, l'auteur de l'article continuait ainsi : « Dieu nous préserve cependant de faire la moindre critique des bons journaux qui, en défendant la même sainte cause que nous, aspirent à réaliser un idéal politique plus favorable peut-être aux intérêts du catholicisme si persécuté en Europe et dans notre patrie. Dieu sait combien nous les aimons, combien nous les admirons, combien nous les applaudissons ! Ils méritent bien de la religion et des bonnes mœurs, ce sont les maîtres de notre jeunesse inexpérimentée ; à leur ombre bienfaisante s'est formée une génération décidément catholique et brillamment guerrière, qui compense nos afflictions par d'abondantes consolations. Ils sont nos modèles, et, quoique de loin, nous suivrons leurs traces bénies et les rayons de lumière qu'ils projettent sur notre histoire contemporaine ». Ainsi s'exprimait la Revista Popular, du 1er janvier 1881. Que les scrupuleux se tranquillisent donc, nos paroles d'aujourd'hui ne contredisent pas nos paroles d'alors et ces dernières n'ont à subir aucune modification pour être d'accord avec les nôtres : les deux propagandes vibrent à l'unisson. Celle qui dit Rien pour la politique et celle qui conseille la défense de la religion contre le libéralisme sur le terrain politique, sont deux sœurs tellement sœurs, qu'on pourrait les appeler jumelles, si jumelles qu'elles sont nées d'une seule âme et d'un seul cœur.

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