samedi 20 juillet 2013

Libéralisme Ch. 35 et 36


XXXV

Quels sont les bons, quels sont les mauvais journaux ; ce qu'il faut penser du bien qui se trouve dans les mauvais et du mal qui se trouve dans les bons.

Étant donné, d'une part, que le courant, bon ou mauvais, qui approuve ou condamne une chose, doit servir au simple fidèle de critère ordinaire et familier de vérité, pour se tenir à tout le moins en défiance et sur ses gardes ; étant donné, d'autre part, que les journaux sont le meilleur moyen de discerner ce courant, et qu'il faut, par conséquent, recourir à eux en plus d'une occasion, la question suivante se place ici d'elle-même : quels doivent être pour un catholique aujourd'hui les journaux qui méritent de sa part une véritable confiance ? Mieux : quels sont les journaux qui doivent lui inspirer très peu de confiance et ceux qui ne doivent lui en inspirer aucune ? Premièrement, il est clair (per se patet) que les journaux qui s'honorent (ou plus tôt se déshonorent) en se déclarant eux-mêmes libéraux et se considérant comme tels ne doivent nous en inspirer aucune en ce qui touche le libéralisme. Comment nous fier à eux ? Ils sont précisément les ennemis contre lesquels nous avons sans cesse à nous tenir en garde, contre lesquels nous avons constamment à guerroyer. Ce point est donc hors de toute discussion. Tout ce qui de nos jours, se décerne le titre de libéral l'est certainement, et par suite notre ennemi déclaré et celui de l'Église de Dieu. Il ne faut donc tenir aucun compte de ses recommandations ou de son approbation, si ce n'est pour tenir en suspicion tout ce qu'en religion il approuve ou recommande.

Il y a encore une classe de journaux, moins prompte à se démasquer et à se prononcer, qui aime à vivre dans l'ambiguïté, à demeurer dans les couleurs indéfinies et les teintes indécises. A toute heure elle se proclame catholique et par moments elle déteste et abomine le libéralisme, du moins à l'en croire sur parole. Les bons journaux qui en font partie sont généralement connus pour catholiques libéraux. De celle-là il faut se défier plus encore et ne point se laisser duper par ses momeries et son piétisme. Il est certain que, dans tous les cas difficiles, la tendance libérale l'emportera chez elle sur la tendance catholique, si fraternellement que toutes deux se promettent de vivre ensemble. Ce fait s'est toujours vu et logiquement il se produira toujours.

Le courant libéral est plus aisé à suivre, il est composé de plus de prosélytes, et plus sympathique à l'amour-propre. Le courant catholique est plus difficile en apparence, il compte moins de partisans et d'amis, exige que l'on navigue sans cesse contre l'impulsion naturelle et perverse des idées et des passions. Dans des cœurs incertains et vacillants comme ceux des libéraux, il est tout simple que ce courant catholique succombe et que le courant libéral prévale. Il n'y a donc pas lieu, dans les cas difficiles, de se fier à la presse catholique libérale. De plus, elle présente cet inconvénient que ses jugements ne servent pas autant que ceux de la presse libérale pour formuler la preuve contradictoire, par la raison très simple que son jugement n'est absolu et radical en rien, mais pour l'ordinaire ‘’opportuniste’’.

La bonne presse est la presse intégralement bonne, c'est-à-dire celle qui défend le bien dans ses bons principes et dans ses bonnes applications la plus opposée à tout mal reconnu comme tel, opposita per diametrum, comme dit saint Ignace dans le livre d'or de ses Exercices, la presse qui se tient sur la frontière opposée à celle de l'erreur et qui regarde toujours son ennemie en face ; non celle qui bivouaque une fois ou l'autre avec elle et ne s'oppose qu'à certaines de ses évolutions déterminées, celle qui est hostile au mal en tout, car c'est ‘’en tout ‘’que le mal est mal, même dans le bien qui peut par hasard l'accompagner quelquefois.

Nous ferons ici une observation dans le but d'expliquer notre dernière phrase qui paraîtra trop hardie à un grand nombre.

Les mauvais journaux peuvent parfois contenir quelque chose de bon. Que faut-il penser de ce bien que renferment quelquefois les mauvais journaux ? Il faut penser que ce bien ne les empêche pas d'être mauvais si leur doctrine ou nature intrinsèque est mauvaise. Dans la majeure partie des cas, ce bien est un artifice satanique pour recommander une feuille ou tout au moins dissimuler ce qu'elle porte en elle-même d'essentiellement mauvais. Quelques qualités accidentellement bonnes n'enlèvent pas à un être mauvais sa nature mauvaise. Un assassin et un voleur ne sont pas bons parce qu'un beau jour ils récitent un Ave Maria ou font l'aumône à un pauvre. Ils sont mauvais, malgré leurs œuvres bonnes, parce que l'ensemble essentiel de leurs actes est mauvais ainsi que leurs tendances habituelles. Et s'ils se servent du bien qu'ils accomplissent pour accréditer leur malice, il en résulte que, même ce qui en soi est ordinairement bon, devient mauvais par la fin qu'ils se proposent.

Au contraire, il arrive quelquefois que de bons journaux tombent dans telle ou telle erreur de doctrine, ou en quelques excès de passion, et font alors quelque chose que l'on ne peut effectivement approuver. Faut-il à cause de cela les déclarer mauvais, les réprouver comme tels ? Non, pour une raison inverse quoiqu'analogue. Le mal chez eux est accidentel, et le bien constitue leur substance et leur état ordinaire. Un ou plusieurs péchés ne rendent pas un homme mauvais surtout s'il proteste contre eux par le repentir et l'amendement. Celui-là seul est mauvais qui l'est en pleine connaissance de cause, habituellement, et proteste vouloir l'être. Les journalistes catholiques ne sont pas des anges, tant s'en faut, mais des hommes fragiles et de misérables pécheurs. Vouloir donc qu'on les condamne pour telle ou telle erreur, pour tel ou tel emportement ou excès, c'est avoir du bien et de la vertu une opinion pharisaïque et janséniste en désaccord avec tous les principes de saine morale. S'il fallait juger de cette manière, quelle institution serait bonne et digne d'estime dans l'Église de Dieu ?

Résumons-nous : il y a de bons et de mauvais journaux ; parmi ces derniers, il faut ranger ceux dont la doctrine est ambiguë et mal définie. Ce qui est mauvais ne devient pas bon parce qu'il se glisse en lui quelque bien, et ce qui est bon ne devient pas mauvais à cause de quelques défauts et même de quelques péchés qui s'y mêlent.

Le bon catholique qui jugera et agira loyalement d'après ces principes se trompera très rarement.

XXXVI

S'il est bon quelquefois que catholiques et libéraux s'unissent pour une fin commune, et dans quelle condition ?

Une autre question a souvent été agitée de nos jours. Elle se rapporte à l'union des catholiques et des libéraux moins avancés, dans le but commun de contenir la révolution radicale et déchaînée. Songe doré ou candide illusion chez quelques-uns ; chez d'autres, au contraire, piège perfide au moyen duquel ils ont prétendu paralyser nos forces et nous désunir, ce qu'ils ont en grande partie réalisé.

Que devons-nous penser de ces tentatives unionistes, nous qui voulons avant tout autre intérêt celui de notre sainte religion ?

En thèse générale nous devons penser que de pareilles unions ne sont ni bonnes ni recommandables. Cela se déduit tout naturellement des principes posés jusqu'ici. Le libéralisme, si modéré et si patelin qu'il se présente dans la forme, est par son essence en opposition directe et radicale avec le catholicisme. Les libéraux sont donc ennemis nés des catholiques, et ce n'est qu'accidentellement que les uns et les autres peuvent avoir des intérêts véritablement communs.

De ceci cependant il peut se présenter quelques cas très rares. Ainsi, l'union des forces intégralement catholiques avec celles du groupe le plus modéré du libéralisme contre la fraction la plus avancée des libéraux peut être utile en un cas donné. Quand cette union est réellement opportune il faut l'établir sur les bases suivantes :

1°- Ne jamais prendre pour point de départ la neutralité ou la conciliation entre principes et intérêts essentiellement opposés, comme le sont les principes et les intérêts des catholiques et des libéraux. Cette neutralité ou conciliation est condamnée par le Syllabus et par conséquent elle est une base fausse ; cette union est une trahison, c'est l'abandon du camp catholique par une partie de ceux qui sont tenus de le défendre. Qu'on ne dise donc pas : « Faisons abstraction des différences de doctrine et d'appréciations ». Cette lâche abdication des principes ne doit jamais avoir lieu. Il faut dire tout d'abord « malgré la radicale et essentielle opposition de principes et d'appréciations, etc. »

C'est ainsi qu'il importe de parler et d'agir, pour éviter la confusion des idées, le scandale des simples et le triomphe de l'ennemi.

2° - Bien moins encore faut-il accorder au groupe libéral l'honneur de nous enrôler sous sa bannière. Que chacun garde sa propre devise, ou vienne se ranger sous la nôtre quiconque veut lutter avec nous contre un ennemi commun. En d'autres termes : qu'ils s'unissent à nous, mais ne nous unissons jamais à eux. Habitués qu'ils sont à leur enseigne bigarrée il ne leur sera pas si difficile d'accepter nos couleurs ; pour nous qui voulons tout pur et sans mélange, cette confusion de drapeaux serait intolérable.

3° - Ne jamais croire qu'on a établi ainsi les bases d'une action constante et normale, elles ne peuvent l'être qu'en vue d'une action fortuite et passagère. Une action constante et normale ne s'établit qu'avec des éléments homogènes s'engrenant entre eux comme des rouages parfaitement combinés. Pour que des personnes de convictions radicalement opposées s'entendissent longtemps, des actes continuels d'héroïque vertu seraient nécessaires de part et d'autre. Or, l'héroïsme n'est pas chose ordinaire et d'un usage journalier. C'est donc exposer une œuvre à un lamentable insuccès, que de l'édifier sur la base d'opinions contraires, quel que soit d'ailleurs leur accord sur un point accidentel. Pour un acte transitoire de défense commune ou de commune attaque, un essai pareil de coalition de forces est très permis, il peut être louable et d'une grande utilité, pourvu toutefois qu'on n'oublie pas les autres conditions ou règles que nous avons déjà posées : elles sont d'une imprescriptible nécessité. En dehors de ces conditions, non seulement nous croyons que leur union avec les libéraux pour une entreprise quelconque n'est pas favorable aux catholiques, mais encore nous estimons qu'elle est véritablement préjudiciable. Au lieu d'augmenter les forces, comme il arrive quand on réunit des quantités homogènes, elle paralysera et annulera la vigueur de celles-là même qui auraient pu, isolées, faire quelque chose pour la défense de la vérité. Sans doute, un proverbe dit : « Malheur à qui va seul ». Mais il en est un autre démontré aussi vrai par l'expérience et nullement en contradiction avec lui, le voici : « Mieux vaut solitude que mauvaise compagnie ». Saint Thomas dit, croyons-nous, nous ne nous souvenons plus en quel endroit : Bona est unio, sed potior est unitas : « Bonne est l'union, meilleure est l'unité ». S'il faut sacrifier la véritable unité comme arrhes d'une union fictive et forcée, rien n'est gagné au change, et à notre humble avis beaucoup est perdu.

A l'appui de ces considérations, que l'on serait tenté de considérer comme de pures divagations théoriques, l'expérience ne montre que trop le résultat ordinaire de ces essais d'union. Leur résultat est toujours de rendre plus acerbes les luttes et les rancunes. Il n'y a pas un seul exemple de coalition de ce genre ayant servi à édifier et à consolider.

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